lundi 10 septembre 2012

Le tutorat dans une situation de simulation immersive. Par Jean-Paul Moiraud


Nous avons précédemment défini dans ces colonnes une typologie des situations pédagogiques dans les mondes virtuels (1). Chacune d'entre elles induit un besoin plus ou moins fort de tutorat, la définition d'une scénario plus ou moins complexe. Le cours virtuel en ligne (cours distant synchrone construit sur une interaction immédiate avec l'enseignant) sera la construction la moins sophistiquée. La situation de  simulation immersive fruit de nombreuses interactions demandera la production de scénarios pédagogique et tutoral sophistiqués.

C'est cette dernière situation de formation que je propose de détailler dans ce billet, à la lumière des observations que j'ai réalisées au cours de l'année scolaire / universitaire 2011 / 2012 (2)

Construire une simulation dans un monde immersif (3) suppose de mettre en place une chaine pédagogique extrêmement complexe. Il s'agit de coordonner les activités des différents spécialistes de la formation en ligne (développeur, scénariste, administratifs, DSI, designer, tuteur ...) en adoptant un double mouvement simultané qui va du champ de spécialité de chacun vers l' approche transversale.

Je me limiterai ici à cerner les interactions induites par la posture de l'avatuteur (4) dans les dispositifs de simulation. Il est immergé dans l'espace virtuel avec ses apprenants, il est dans une situation "d'intériorisation pédagogique" (3)

Rappelons, en préliminaire, que la construction pédagogique immersive basée sur la simulation est de type béhavioriste. Les apprenants sont mis en situation d'acquérir des réflexes, des routines professionnelles. Notons que les autres constructions de notre typologie (5) relèvent d'autres champs théoriques. Nous y reviendrons dans d'autres billets.

Le scénario de formation par simulation immersive s'exerce DANS un environnement particulier, le monde virtuel. Nous avons commencé à définir ce concept pour essayer de le stabiliser, en dépassant le terme polysémique de virtuel. (6)

Le tutorat immersif dans un contexte de simulation oblige à mener  une réflexion relative à la  présence d'acteurs dans un univers virtuospatialisé. Les tuteurs auront pour objectif de suivre et accompagner les apprenants dans leurs diverses phases d'apprentissage (temps synchrone et asynchrone), de certification et de synthèse. Suivre avant, suivre pendant et suivre après.

- Un univers virtuospatialisé 

Les environnements 3D (type second life, opensims) permettent aux acteurs de se déplacer dans un univers signifiant. La scénarisation technique aura prévue un espace avec des lieux précis, objets d'apprentissage. Prenons pour exemple la simulation de médecine de catastrophe (op.cit). Y sont définis différents lieux (centre commercial, métro, hôpital, centre de régulation, PMA ...) dans lesquels les apprenants doivent se déplacer en fonction d'une trame pédagogique et y exprimer des interactions. Il est besoin de préciser que ces déplacements peuvent se réaliser au sol, dans les airs et en sous-sol. À la différence des autres modes de formation, le tuteur doit se mouvoir, à tout le moins suivre les mouvements des apprenants. Les mondes virtuels semblent faire émerger le concept de "tutorat cinétique".

- "Vous me suivez ?"


Représentation de déplacements dans un monde virtuel 
d'après l'expérience en médecine de catastrophe
Le langage imagé fait souvent dire au formateur, au tuteur, à l'adresse de ses étudiants "Vous me suivez ?". Les mondes virtuels donnent du corps à cette expression car le tuteur doit suivre ses (son) apprenant(s) dans l'environnement spatialisé. Nous sommes même dans un cas d'inversement de proposition. L'étudiant est en capacité de se poser la question suivante : "vous me suivez M le tuteur ?







- Des compétences cognitives à acquérir

Les espaces à investir

Le tuteur se met évidemment en situation de suivre les déplacements de ses apprenants, ce qui lui impose de maîtriser parfaitement l'environnement technologique et les fonctionnalités des avatars. Le suivi peut s'opérer de plusieurs façons :

- En déplaçant son avatar au sol, au sous sol et dans les airs (7) puisque la base du scénario s'appuie sur les fonctionnalités 3D des environnements ;
-  En utilisant la vue et l’ouïe  augmentées de l'avatar.

Quelque soit la solution retenue au moment de l'élaboration du scénario tutoral, le tuteur ne doit pas être ralenti, gêné par des problèmes cognitifs. Mon propos implique que le tuteur se soit formé en amont, ait affiné ses perceptions senso-motrices pour gérer son avatar, soit capable de régler son tableau de bord technique. On parlera de compétences avancées de la part du tuteur.

Il reviendra donc de définir quels sont les lieux où se positionnera le tuteur. On peut retenir trois postures pendant le temps de simulation :
  1. L'accompagnement de proximité, l'avatuteur suit son ou ses apprenants. Il  est présent sur la scène de formation et identifié comme tel ;
  2. L'accompagnement à distance par la vue et l’ouïe augmentées. Le tuteur suit son groupe à distance mais l'avatar est présent sur la scène de formation (immobilité corporelle et mobilité visuelle) ;
  3. L'accompagnement à distance par la vue et l’ouïe augmentées avec un avatar hors la scène de formation. Le tuteur choisit de se positionner dans un endroit neutre et se rend volontairement invisible.
- Un ou plusieurs tuteurs ?

La dynamique du mouvement que je viens d'évoquer nous oblige à nous poser la question du ratio tuteur / apprenant. Dans un dispositif de FOAD habituel, le tuteur peut gérer un nombre d'apprenants se conjuguant au pluriel. Dans le dispositif de simulation immersif la question est, me semble t-il, plus compliquée. Selon la temporalité de la formation (8) le nombre d'apprenants peut varier.
  • Dans le contexte d'apprentissage de la maîtrise des environnements, le tuteur peut aider plusieurs apprenants soit de façon synchrone virtualocalisée, soit de façon asynchrone en étant selon les circonstances réactif ou proactif. Laurent Gout (9) afin de rendre plus souple les périodes de formation à créé, en parallèle de second life, un espace sur Moodle pour aider ses apprenants. il est donc acceptable de penser que les apprenants s'inscrivent dans une démarche d'autoformation, à condition que la charte tutorale le spécifie expressément.
  • Dans la phase certification (10), le rôle du tuteur se transforme. Il peut difficilement suivre plusieurs avatars en même temps puisque le principe même du scénario pédagogique impose la mobilité. J'avance ici l'hypothèse que le scénario tutoral doit penser la posture du tuteur en fonction des catégories de situations mises en œuvre. 
    • Un apprenant qui est seul et se déplace fréquemment mobilisera un tuteur et un seul ;
    • Un groupe d'apprenants entrant en interaction et ayant les mêmes contraintes de mobilité pourra être suivi par un tuteur
Il me semble qu'il faut déterminer bien amont de phase de validation les rôles qui seront attribués aux acteurs du dispositif afin de pouvoir répartir les fonctions des tuteurs. Le procédé coercitif ne s'inscrit pas dans les démarches actuelles de la collaboration mais elle y gagne, me semble t-il, en efficacité.
  •  Dans la phase de synthèse, "le debriefing" - Une simulation immersive doit être prolongée par un temps de synthèse (le débreiffing). La simulation peut s’apparenter à bien des égard au "game" des jeux des sérieux. Il peut être utile de rejouer la situation. Dans les dispositifs de jeux sérieux, la présence d'un pilotage par une intelligence artificielle facilite le "replay". Dans un monde immersif la part de l'humain est dominante, il faut donc prévoir des systèmes pour "tracer" les actions.
    • Par la prise de notes, en remplissant de grilles d'évaluation par les  tuteurs et  restituées a posteriori ;
    • En se réservant le droit d'intervenir in situ auprès des apprenants, une forme de guidance immédiate, orale et synchrone ;
    • Par la réalisation de captations vidéos des actions des apprenants ;
    • Par une autoévaluation collective ;
    • Par un mix des solutions citées ci-dessus.
Mon propos sur la synthèse n'a de sens que si le scénario pédagogique a intégré les contraintes de l'avant et du pendant (11)


Cette première approche n'est que l'amorce d'une réflexion, elle doit se poursuivre par de nouveaux temps d'observations auprès des acteurs de la sphère virtuelle pédagogique. Il me semble que ce travail sera d'autant plus facilité que les divers acteurs que j'ai identifiés gagnent en expérience et en compétence. La capacité à gérer les scénarios tutoraux sont les enjeux futurs de la crédibilité pédagogique auprès des décideurs. Il convient de ne pas rater le rendez-vous
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(1) Typologie des usages pédagogiques en monde virtuel http://tutvirt.blogspot.fr/2011/08/la-causerie-grand-format-avec.html
(2) La simulation immersive dans le domaine des urgences médicales, le cas de l’université de Toulouse Paul Sabatier pour la capacité de médecine de catastrophe - "Urgences immersives et simulation – Se préparer virtuellement aux catastrophes du réel"http://moiraudjp.wordpress.com/2012/06/15/urgences-immersives-et-simulation/ Jean-Paul Moiraud (2012)
(3) Définition du monde immersif, telle que nous l'entendons dans nos réflexions http://moiraudjp.wordpress.com/2012/07/09/definition-du-monde-virtuel-lieu-pedagogique-immersif/
(4) L'avatuteur est la représentation du tuteur humain par son avatar virtualisé. 
(7) L’avatuteur en vol, posture à concevoir, Jacques Rodet http://tutvirt.blogspot.fr/2011/09/lavatuteur-en-vol-posture-concevoir-par.html 
(8) Les temps du tutorat dans des dispositifs de formation immersifs, Jacques Rodet http://tutvirt.blogspot.fr/2012/09/les-temps-du-tutorat-dans-des.html
(9) Urgentic http://urgentic.blogspot.fr/ 
(10) Pour des raisons liées à la nécessité de ne pas développer à l'excès le nombre d'intervenants, je pars du principe que le tuteur est aussi certificateur.
(11) "La temporalité complexe relative au scénario pédagogique et au scénario tutoral, Jacques Rodet) http://tutvirt.blogspot.fr/2012/09/les-temps-du-tutorat-dans-des.html
 


jeudi 6 septembre 2012

Les temps du tutorat dans des dispositifs de formation immersifs. Par Jacques Rodet


A quels moments les tuteurs doivent-ils intervenir auprès des apprenants évoluant dans un environnement virtuel et immersif de formation ? Cette question peut être traitée de plusieurs points de vue : 
  • la temporalité simplifiée d’une action de formation : avant, pendant, après 
  • la temporalité complexe relative au scénario pédagogique et au scénario tutoral 
  • l’intentionnalité des interventions, et partant des fonctions investies par les tuteurs 
La temporalité simplifiée d’une action de formation : avant, pendant, après 
Toute action de formation peut être modélisée temporellement selon trois phases que sont l’avant diffusion, le pendant la diffusion, l’après diffusion. Les dispositifs de formation s’appuyant sur la technologie et introduisant peu ou prou la distance investissent massivement l’avant. Ainsi, créer un monde virtuel demande des compétences informatiques et graphiques dont la mise en œuvre nécessite un temps initial important. Il est à noter que ce temps de préparation, de l’avant diffusion, est celui du concepteur et non des tuteurs. Il peut toutefois être fait appel à l’expérience des tuteurs pour remonter les besoins d’aide des apprenants auxquels le dispositif devra répondre. 

La temporalité complexe relative au scénario pédagogique et au scénario tutoral 
Les scénarios pédagogique et tutoral sont mis au point dans l’avant diffusion. Ils sont la plupart du temps confiés aux concepteurs. Toutefois, lorsqu’ils ne possèdent pas de compétences particulières en ingénierie tutorale (cf. billets sur l’ingénierie tutorale) les tuteurs sont de bonnes personnes-ressources pour concevoir, dimensionner et quantifier les interventions tutorales. Lors de la diffusion de la formation, les tuteurs interviennent de deux manières. D’une part, selon les préconisations du scénario tutoral, d’autre part, de manière plus réactive pour répondre aux besoins de soutien non anticipés des apprenants. Dans le cadre d’une formation en monde immersif, le tuteur peut adopter des postures particulières (cf. L'avatuteur en vol, posture à concevoir). Jean-Paul Moiraud a, par exemple, abondamment illustré la position en surplomb de la scène jouée par les apprenants (cf. Vidéo - Observer et tutorer les apprenants en altitude). Si cette situation peut être scénarisée, et à mon sens devrait l’être ne serait-ce que pour en donner la visibilité aux apprenants et ainsi échapper au simple voyeurisme, il est évident que les interventions que le tuteur entreprendra pendant la diffusion, dépendront fortement du vécu instantané des apprenants. Les interventions tutorales après la diffusion seront davantage destinées à faciliter la distanciation par rapport à la situation immersive vécue. 

L’intentionnalité des interventions, et partant des fonctions investies par les tuteurs 
Nous avons eu l’occasion de souligner que, plus qu’ailleurs, les interventions tutorales dans un monde immersif relevaient d’intentions (cf. Communication non verbale dans les mondes virtuels : le résultat d’une intentionnalité au risque d’une signification typée ?). Ainsi, les expressions corporelles de l’avatuteur sont bien la transcription d’une intention de la personne et ne sont plus en l’état une communication non verbale. Le caractère synchrone d’une communication en monde immersif ne doit pas faire penser que tout peut se jouer dans l’instant. D’autres situations de communication synchrones, telles que la classe virtuelle, montrent au contraire que la scénarisation est essentielle à leur bon déroulement. L’intentionnalité des interventions pose inévitablement la question des fonctions tutorales investies par les avatuteurs. Le fait que la formation se déroule dans un monde immersif ne joue pas sur la catégorisation de ces fonctions et des plans de support à l’apprentissage. (cf. Des fonctions et des plans de support à l’apprentissage à investir par les tuteurs à distance). 

Temporaliser les actions tutorales au sein d’un dispositif de formation dans un monde virtuel n’est pas forcément aisé mais est nécessaire. La temporalisation simple de l’avant-pendant-après l’action de formation se révèle insuffisante à cet égard. Il est nécessaire de procéder à une ingénierie de la temporalité complexe en s’appuyant sur le scénario pédagogique pour concevoir le scénario tutoral. Dès lors, les typologies utilisées en FOAD pour caractériser les fonctions et rôles des tuteurs sont à étudier pour mieux typer les différents profils d’avatuteurs. Il faut néanmoins reconnaître que les principaux obstacles à la temporalisation-scénarisation du tutorat dans les mondes virtuels tiennent au fait que le scénario pédagogique, lui-même, n’est pas toujours pleinement défini. Or, le support à l’apprentissage que constitue le tutorat est forcément intrinsèquement lié au parcours d’apprentissage. Il serait donc certainement utile de mettre au point des outils simples permettant au concepteur de formation dans un monde virtuel de bâtir ses scénarios pédagogique et tutoral. 

Illustration : Horloge 3D Monolith by Negrocode ; Design Studio Agence Design : Negrocobre  ; Designer : Emre Bakir & Mustafa Karakus