jeudi 6 septembre 2012

Les temps du tutorat dans des dispositifs de formation immersifs. Par Jacques Rodet


A quels moments les tuteurs doivent-ils intervenir auprès des apprenants évoluant dans un environnement virtuel et immersif de formation ? Cette question peut être traitée de plusieurs points de vue : 
  • la temporalité simplifiée d’une action de formation : avant, pendant, après 
  • la temporalité complexe relative au scénario pédagogique et au scénario tutoral 
  • l’intentionnalité des interventions, et partant des fonctions investies par les tuteurs 
La temporalité simplifiée d’une action de formation : avant, pendant, après 
Toute action de formation peut être modélisée temporellement selon trois phases que sont l’avant diffusion, le pendant la diffusion, l’après diffusion. Les dispositifs de formation s’appuyant sur la technologie et introduisant peu ou prou la distance investissent massivement l’avant. Ainsi, créer un monde virtuel demande des compétences informatiques et graphiques dont la mise en œuvre nécessite un temps initial important. Il est à noter que ce temps de préparation, de l’avant diffusion, est celui du concepteur et non des tuteurs. Il peut toutefois être fait appel à l’expérience des tuteurs pour remonter les besoins d’aide des apprenants auxquels le dispositif devra répondre. 

La temporalité complexe relative au scénario pédagogique et au scénario tutoral 
Les scénarios pédagogique et tutoral sont mis au point dans l’avant diffusion. Ils sont la plupart du temps confiés aux concepteurs. Toutefois, lorsqu’ils ne possèdent pas de compétences particulières en ingénierie tutorale (cf. billets sur l’ingénierie tutorale) les tuteurs sont de bonnes personnes-ressources pour concevoir, dimensionner et quantifier les interventions tutorales. Lors de la diffusion de la formation, les tuteurs interviennent de deux manières. D’une part, selon les préconisations du scénario tutoral, d’autre part, de manière plus réactive pour répondre aux besoins de soutien non anticipés des apprenants. Dans le cadre d’une formation en monde immersif, le tuteur peut adopter des postures particulières (cf. L'avatuteur en vol, posture à concevoir). Jean-Paul Moiraud a, par exemple, abondamment illustré la position en surplomb de la scène jouée par les apprenants (cf. Vidéo - Observer et tutorer les apprenants en altitude). Si cette situation peut être scénarisée, et à mon sens devrait l’être ne serait-ce que pour en donner la visibilité aux apprenants et ainsi échapper au simple voyeurisme, il est évident que les interventions que le tuteur entreprendra pendant la diffusion, dépendront fortement du vécu instantané des apprenants. Les interventions tutorales après la diffusion seront davantage destinées à faciliter la distanciation par rapport à la situation immersive vécue. 

L’intentionnalité des interventions, et partant des fonctions investies par les tuteurs 
Nous avons eu l’occasion de souligner que, plus qu’ailleurs, les interventions tutorales dans un monde immersif relevaient d’intentions (cf. Communication non verbale dans les mondes virtuels : le résultat d’une intentionnalité au risque d’une signification typée ?). Ainsi, les expressions corporelles de l’avatuteur sont bien la transcription d’une intention de la personne et ne sont plus en l’état une communication non verbale. Le caractère synchrone d’une communication en monde immersif ne doit pas faire penser que tout peut se jouer dans l’instant. D’autres situations de communication synchrones, telles que la classe virtuelle, montrent au contraire que la scénarisation est essentielle à leur bon déroulement. L’intentionnalité des interventions pose inévitablement la question des fonctions tutorales investies par les avatuteurs. Le fait que la formation se déroule dans un monde immersif ne joue pas sur la catégorisation de ces fonctions et des plans de support à l’apprentissage. (cf. Des fonctions et des plans de support à l’apprentissage à investir par les tuteurs à distance). 

Temporaliser les actions tutorales au sein d’un dispositif de formation dans un monde virtuel n’est pas forcément aisé mais est nécessaire. La temporalisation simple de l’avant-pendant-après l’action de formation se révèle insuffisante à cet égard. Il est nécessaire de procéder à une ingénierie de la temporalité complexe en s’appuyant sur le scénario pédagogique pour concevoir le scénario tutoral. Dès lors, les typologies utilisées en FOAD pour caractériser les fonctions et rôles des tuteurs sont à étudier pour mieux typer les différents profils d’avatuteurs. Il faut néanmoins reconnaître que les principaux obstacles à la temporalisation-scénarisation du tutorat dans les mondes virtuels tiennent au fait que le scénario pédagogique, lui-même, n’est pas toujours pleinement défini. Or, le support à l’apprentissage que constitue le tutorat est forcément intrinsèquement lié au parcours d’apprentissage. Il serait donc certainement utile de mettre au point des outils simples permettant au concepteur de formation dans un monde virtuel de bâtir ses scénarios pédagogique et tutoral. 

Illustration : Horloge 3D Monolith by Negrocode ; Design Studio Agence Design : Negrocobre  ; Designer : Emre Bakir & Mustafa Karakus

lundi 16 janvier 2012

Du bricolage et de la transgression en formation. Par Jacques Rodet

Jean-Paul Moiraud, dans son billet intitulé « Bricolage, ruse et subterfuge » http://tutvirt.blogspot.com/2011/12/bricolage-ruse-et-subterfuge.html  s’intéresse aux pratiques des enseignants qui leur permettent d’« inventer et de revisiter le quotidien éducatif. » Il souligne que loin d’être contradictoires, ces pratiques peuvent s’articuler avec les politiques institutionnelles. Elles en sont des avatars qui se jouent de certaines contraintes en procédant par déviations. L’innovation et la création procèdent fréquemment par transgression de ce qui est établi. Depuis la fin du XIXe siècle, la création artistique, et ce fut particulièrement vrai pour la peinture est le résultat  de la transgression des règles établies. La transgression est un acte volontaire et conscient. C’est pourquoi, il est nécessaire, pour qu’elle produise du sens, de connaître, voire d’avoir pratiqué, les règles mises à bas. Hors de cette condition, il y a fort à parier que le résultat obtenu, loin d’être créatif, ne soit que de peu d’intérêt. Ainsi, d’un individu qui sans rien connaître à l’enseignement ou à la formation voudrait initier de nouvelles pratiques d’apprentissage aurait bien peu de chance d’être pertinent. Il est possible de remettre beaucoup de choses en question dans la pratique enseignante, encore faut-il en connaître les fondements, dans une certaine mesure l’histoire, les pratiques et les diverses instanciations. Il est donc possible d’affirmer qu’un enseignant qui souhaite innover, devrait posséder un certain bagage, une expérience pratique, une bonne perception du cadre institutionnel dans lequel il évolue. A partir de ces connaissances, il lui est alors loisible de déterminer quelles sont les règles qu’il souhaite transgresser pour atteindre tel ou tel objectif.

Le bricolage éducatif est-il transgressif et créatif ?
Si l’on considère que la pratique éducative est toujours une réponse particulière d’un enseignant se saisissant d’éléments constitués (programmes, manuels, ressources, etc.) pour permettre à des apprenants de construire leurs connaissances et/ou de développer des compétences, il ne fait aucun doute que l’enseignant a été, est et sera toujours un bricoleur. Un bricoleur professionnel, c’est-à-dire un artisan. Comme lui, il maîtrise la chaine de production de A à Z : il analyse, conçoit, réalise, diffuse, évalue. En ce sens, le bricolage est plutôt l’habitude et l’industrialisation qui suppose la division des tâches, l’exception. Bricoler n’est donc pas une transgression dans le sens où à force d’être transgressif,  la transgression s’est imposée comme norme. Pour filer la comparaison avec la peinture, dirait-on d’un individu qui peindrait des tableaux selon les canons du début du XIXe siècle qu’il est un artiste, un créatif ? Etre peintre à notre époque, c’est répondre à l’impératif de la novation, de l’originalité, d’être transgressif. Si cela n’est valide que de manière moindre dans le monde éducatif et de la formation,  il semble bien difficile d’être reconnu comme un pédagogue de qualité sans que sa démarche se révèle un tant soit peu transgressive. Le caractère subversif de la transgression n’en est pas éliminé pour autant puisque sa démarche s’effectue dans un cadre institutionnel aux règles établies et jalousement gardées ou plus exactement frileusement conservées.

L’innovation n’est pas que le résultat du bricolage
Si l’innovation a besoin de pionniers, elle peut aussi se révéler être le résultat de démarches planifiées. La mise à distance de la formation en est un bon exemple. Les premières expériences de formation à distance qui remontent au XIXe siècle avec l’apparition du timbre-poste, ont introduit un élément fondamental qui s’est révélé profondément subversif : l’enseignant et l’enseigné n’ont plus besoin d’être ensemble dans un lieu et un temps donné. Cette remise en cause de l’unité spatio-temporelle de la formation a progressivement été pensée au regard du processus d’industrialisation. Permettre à un plus grand nombre et de manière plus aisée d’accéder à la formation est certainement une des raisons premières de la formation à distance qu’elle a ensuite formulée comme promesse. Le cas de l’Open University de Grande Bretagne est éloquent à cet égard. Dès lors, le recours aux techniques de la division des tâches permettant la massification et la standardisation s’est révélé incontournable. L’enseignant voit sa fonction éclatée en une multitude de spécialités qui lui est bien difficile d’investir toutes : analyste, concepteur, pédagogue, médiatiseur, technicien, facilitateur, administrateur, etc. Le bricolage n’est pas impossible dans ce nouveau schéma, et en fait souvent pratiqué au sein de chacune de ces fonctions, mais il n’y a plus d’artisan qui fait tout de A à Z. La liberté des acteurs est conditionnée et leurs actions coordonnées. L’artisanat laisse la place à une démarche projet caractérisée par l’existence d’une équipe, d’un chef de projet, d’une planification rigoureuse, de règles établies et respectées, d’une division des tâches dont les résultats sont assemblés sans qu’un acteur qui a produit telle ou telle partie ne puisse avoir une pleine conscience et vision de l’ensemble. Il est pourtant remarquable que l’innovation soit au cœur de la formation à distance, que celle-ci soit l’occasion de réinterroger, lors des phases de conception et de scénarisation,  les pratiques de formation, qu’elle ait recours aux moyens technologiques les plus récents, qu’elle transforme la relation pédagogique.

Bricolage des enseignants, quelques hypothèses sur leurs motivations
Il est certain que de nombreux enseignants bricolent afin de créer des situations d’apprentissage qui soient plus adaptées aux caractéristiques de leurs apprenants. Rendre l’apprentissage plus concret, plus authentique, plus accessible, plus ludique, plus intéressant, plus motivant, plus étonnant, plus signifiant, plus transférable, plus complet, plus qualitatif, voilà quelques objectifs qui sont très souvent ceux des enseignants innovants. Il s’agit, en quelque sorte, des raisons nobles qui les poussent à bricoler. Il en existe certainement d’autres, qui sont moins fréquemment mis en exergue et qui correspondent aux intérêts personnels que les enseignants peuvent retirer de leurs pratiques innovantes. Le bricolage n’est-il pas, par exemple, une stratégie contre l’ennui que procure la répétition d’année en année des mêmes cours ? L’enseignant bricoleur ne cherche-t-il pas ainsi à renouveler son plaisir ? A assouvir sa propre curiosité ? A continuer à apprendre ? Une autre série de raisons semble pousser les bricoleurs renommés « geeks » dans le monde numérique : s’offrir une indépendance, un périmètre privatif hors de portée de l’institution. L’exemple du délaissement des ENT par certains enseignants « geeks » est significatif. L’offre numérique de l’institution étant, par nature, toujours en retard sur leurs pratiques, ils la négligent souvent lorsqu’ils ne la combattent pas. En procédant de la sorte, ils peuvent retirer la satisfaction narcissique d’être d’éternels pionniers. Une des dérives qu’il est alors possible de constater est qu’en étant toujours en avance, très en avance, des pratiques institutionnelles d’une part, et de celles de leurs collègues d’autre part, ils n’arrivent plus à nouer les fils d’un dialogue constructif avec eux mais seulement échanger avec ceux qui leur ressemblent.

Bricolage des apprenants, quelques pratiques
Si le bricolage se révèle bénéfique pour les enseignants, il est légitime de se demander s’il ne le serait pas également pour les apprenants. Ainsi, est-ce qu’une pratique apprenante ne gagnerait pas à être transgressive ? La transgression de l’apprenant correspond à la liberté qu’il se donne de ne pas souscrire aux injonctions et autres demandes de l’enseignant ou de l’institution. Cela signifie-t-il que l’apprenant n’apprenne plus, certainement pas. Est-ce moins exigeant pour l’apprenant que de se conformer aux attentes identifiées, encore moins. En effet, selon le principe que nous avons évoqué plus haut - la transgression n’est créative que lorsque l’individu qui la réalise et l’assume a conscience des règles qu’il bat en brèche – il apparait certain que pratiquer un apprentissage par transgression demande une compréhension fine des objectifs de la formation, une capacité à exercer son autonomie, à gérer son apprentissage, à conscientiser ses états affectifs par rapport aux tâches à réaliser, autant d’habiletés que tous les apprenants ne possèdent pas spontanément. Il y aurait donc à réaliser un apprentissage de la transgression de l’apprentissage dont le cursus reste à établir mais qui comprendrait certainement des éléments sur l’apprendre à apprendre, d’une part et sur la notion même de transgression, d’autre part.

Dès lors que l’enseignant a une pratique transgressive, est-ce que l’apprenant peut la transgresser ? Je pense que oui dans la mesure où les pratiques innovantes des enseignants ne se révèlent pas toujours beaucoup moins prescriptives pour les apprenants que les pratiques traditionnelles. La formation à distance et les autres modalités qui font un grand usage des technologies sont effectivement assez prescriptives. Travailler sur une plateforme e-learning impose un certain apprentissage technologique aux apprenants. Dans le cas des formations dans les mondes virtuels qui nous occupent davantage sur ce blog, il faut remarquer que le ticket d’entrée (créer et maitriser les déplacements et la gestuelle de son avatar) est d’un coût cognitif et temporel relativement élevé et fortement prescriptif. 

La définition de l’apprenant bricoleur pourrait être donc la suivante : apprenant qui nourrit une certaine indépendance par rapport aux modalités proposées ou imposées par l’enseignant et par rapport à l’enseignant lui-même, en capacité de comprendre les finalités de son apprentissage et de dimensionner les solutions qui lui conviennent le mieux et qui sont adaptées à l’atteinte des objectifs de la formation. Cette définition est somme toute assez proche de celle de l’autonomie de l’apprenant à distance que j’avais formulée en 2003 : « Un apprenant autonome, est donc, une personne qui prend la main sur son activité d'apprentissage en intervenant dans sa gestion. Il doit mettre en place des stratégies métacognitives impliquant sa connaissance : de soi, des tâches et des stratégies ; mais aussi la maîtrise d'outils de planification, de régulation et d'évaluation. » http://jacques.rodet.free.fr/xchron2.htm#oct
 
Comment soutenir le bricolage des apprenants ?
Faut-il laisser les apprenants bricoler seuls ou n’est-il pas nécessaire de penser les modalités qui autoriseraient leur bricolage et qui pourrait aussi les aider à le pratiquer ? Laisser l’apprenant à lui-même, dans une démarche qui se voudrait délibérément non directive, reviendrait à terme à abdiquer son rôle d’enseignant. C’est donc plutôt la voie du soutien et de la relation d’aide, ainsi que je définis le tutorat à distance, qui serait à emprunter. Il ne me revient pas ici, d’en aborder tous les aspects pratiques, ceci est largement fait dans les billets de ce blog et dans le Blog de t@d (http://blogdetad.blogspot.com). Un principe mérite tout de même d’être rappelé : les fonctions tutorales ne peuvent être investies par un enseignant qu’à partir du moment où il modifie sa perception de son rôle. De transmetteur, il doit devenir accompagnateur, facilitateur, médiateur. Ceci se révèle ne pas être la moindre des transgressions à oser dans le monde éducatif et de la formation aujourd’hui.

jeudi 15 décembre 2011

Causerie à Aix en Provence avec Jacques



Nous avons profité avec Jacques de notre passage à la 3eme édition des rencontres eformation  pour faire un petit bilan sur ce blog.




lundi 26 septembre 2011

L’innovation en formation est d’abord pédagogique et non technique. De l'ingénierie pédagogique dans les mondes virtuels. Par Jacques Rodet

L’innovation est toujours relative à une transgression de l’habituel. Toutefois, transgresser les «règles» sans les connaître et les maîtriser, revient à se donner l’assurance d’arriver à peu près à n’importe quoi. Ce constat est également valable pour l’innovation pédagogique. Ainsi, aménager des espaces de formation dans les mondes virtuels ne peut correspondre à la simple réalisation d’objets et de leur assemblage tout en ignorant les principes de l’ingénierie pédagogique. Sans intention pédagogique explicitée, l’environnement de formation, même immersif, ne peut se suffire à lui-même. C’est ce que nous confirme Jean-Paul Moiraud dans, son dernier billet rendant compte de ses visites de différents mondes virtuels centrés sur l’apprentissage, en relevant que : « Il y a, dans les mondes observés, un déficit de lisibilité pédagogique. La qualité des animations tend à estomper ce manque, si l'on se contente d'une observation de surface. » et en soulignant qu’ « Établir des articulations logiques entre les constructions technologiques et les enjeux pédagogiques semble nécessaire. » 

Penser l’ingénierie pédagogique 
Afin d’avancer dans notre réflexion, il me semble utile d’utiliser les modèles d’ingénierie pédagogique dans des champs voisins des mondes virtuels, à savoir les formations multi-médiatisées et offertes à distance. A cet égard, les propositions de Gilbert Paquette, enseignant-chercheur au LICEF de la Télé-université du Québec sont intéressantes à examiner. La méthode MISA et le langage MOT qui l’instrumente sont performantes mais certainement lourdes à mettre en œuvre, en particulier lorsque le parcours de formation n’est pas très long ou que sa pérennité ne constitue pas un objectif poursuivi par les concepteurs. Depuis de nombreuses années, j’utilise certains éléments de cette méthode pour concevoir des formations ou accompagner des organisations ayant des problématiques de formation à résoudre. Un des outils dont je me sers le plus souvent est un schéma de scénarisation de la conception, de la réalisation et de la diffusion d’un environnement d’apprentissage. 

L’ingénierie pédagogique d’un système d’apprentissage à distance

Les étapes chronologiques de cette ingénierie, i) Définir le problème de formation ; ii) Proposer une solution préliminaire ; iii) Concevoir l’architecture pédagogique ; iv) Concevoir les matériels et leur diffusion ; v) Réaliser et valider les matériels ; vi) Planifier la diffusion du système d’apprentissage, sont croisées avec quatre axes, celui des connaissances, l’axe pédagogique, l’axe médiatique et celui de diffusion. Au croisement de chaque étape et de chaque axe correspond un livrable à produire constituant un des éléments du devis de l’axe concerné. 

Tableau de la documentation à produire

Trop fréquemment, l’innovation en formation revient à investir uniquement l’axe médiatique d’où des dérives technicistes auxquelles participent les innovateurs se définissant volontiers comme geeks. Il y a pourtant deux écueils à éviter dès lors que l’on s’engage sur la voie de l’innovation. Le premier est d’estimer, et parfois de croire, que l’innovation abolit toutes les pratiques antérieures. Ceci est davantage le cas de la part de «nouveaux entrants», de personnes n’ayant pas d’expériences précédentes dans le domaine dans lequel ils innovent, qui, ignorant qu’ils ignorent, armés de leur «militantisme» ou de leur foi en la puissance magique de l’outil, bousculent, certes, les usages, mais ont peu de chances d’être pertinents. Le second écueil, éventuellement conséquence du premier, mais pas toujours, est d’innover pour innover. Les «nouveaux entrants» ne sont pas les seuls concernés. Au contraire, des professionnels éprouvés peuvent considérer l’innovation comme un nouvel Ouest dans lequel ils ne seraient plus contraints par les «règles» régissant les pratiques traditionnelles. Aller toujours plus loin, se saisir de toutes les nouveautés technologiques, gagner en liberté parce que l’on ose se transformer en pionnier sont des tentations suffisantes pour se soustraire aux contraintes des pratiques les plus éprouvées. Etre conscient de ces écueils permet de s’en prémunir largement et constitue un des buts de ce billet. 

Si j’ai évoqué ma pratique d’ingénierie pédagogique, c’est bien plus à titre d’illustration que de volonté prescriptive. Ma préconisation serait plutôt celle-ci : que chacun qui souhaite s’investir dans la formation en monde virtuel, le fasse après avoir mis au jour ses pratiques d’ingénierie pédagogique et ne renonce pas à s’en servir. 

Ingénierie tutorale, élément de l’ingénierie pédagogique 
Ce blog s’intéressant plus spécifiquement à une modalité pédagogique, à savoir le tutorat à distance, la préconisation générale pour l’ingénierie pédagogique se révèle également pertinente pour les questions de support à l’apprentissage. Il est à noter que l’ingénierie tutorale est un sous-ensemble de l’ingénierie pédagogique, que, par exemple, l’approche pédagogique choisie pour une formation, influera nettement les tâches et les résultats de l’ingénierie tutorale la concernant. 

Le rôle de l’avatuteur dans un monde virtuel est à penser, à concevoir et à planifier. Là encore, les pratiques éprouvées dans des formations à distance peuvent servir de guide, du moins dans un premier temps. J’ai déjà eu l’occasion de définir et de décrire l’ingénierie tutorale (Rodet, Jacques (2010). Propositions pour l’ingénierie tutorale. Revue Tutorales, n°7 .pdf). De même, sur ce blog, j’ai proposé une grille permettant tant de penser que de décrire les interventions tutorales (cf. billet). Je reproduis ci-dessous un billet s’intéressant à la modélisation de l’ingénierie tutorale. 



L'ingéniere tutorale comme toute ingénierie, a pour but la production de livrables issus des études effectuées. Ces livrables, dont les formes peuvent être variées, permettent de décrire précisément le système tutoral, le scénario tutoral et le plan de diffusion du tutorat.

Le système tutoral indique la stratégie tutorale de l'institution de formation et les valeurs auxquelles elle se rattache en matière de support à l'apprentissage en lien avec ses choix pédagogiques. Il permet d'identifier les moyens humains et matériel qui assurent des fonctions tutorales au sein d'un dispositif de formation à distance ou hybride. Il précise également les relations que ces différents acteurs entretiennent les uns avec les autres pour aboutir à une qualité, de services tutoraux offerts aux apprenants, la meilleure. 

Le scénario tutoral (cf. Le scénario tutoral, livrable de l'ingénierie tutorale) identifie, décrit et quantifie les différentes interventions tutorales prévues tout en précisant leurs modalités et les outils de communication qui les supportent. Ces interventions sont situées dans le scénario pédagogique de la formation à distance ou hybride. La charte tutorale, partie de ce livrable, notifie les droits et devoirs de l'institution, des tuteurs et des apprenants les uns envers les autres. Elle constitue un document de transition entre la phase de conception et celle de diffusion.

Le plan de diffusion du tutorat indique comment le système tutoral et le scénario tutoral sont orchestrés lors de la diffusion de la formation à distance ou hybride. Il prévoit en particulier comment les acteurs seront préparés à l'exercice de leurs fonctions tutorales, le dimensionnement des outils de suivi des actions tutorales et de leur évaluation, les conditions de viabilité économique du système tutoral.

Le monde virtuel, brique d’un parcours de formation 

Le monde virtuel doit-il être considéré comme l'environnement unique et suffisant d'un parcours de formation ? L'expérience des mondes virtuels me manque pour être pleinement affirmatif. Toutefois, je remarque qu'après le e-learning qui devait remplacer le présentiel, le serious game que certains tendent à présenter comme le stade ultime de la pédagogie, il y aurait une certaine naïveté, pour ne pas dire plus, à considérer les mondes virtuels comme le nouvel eldorado pédagogique. La plupart des dispositifs de formation ayant recours aux TICE, s'étant fixés de réels buts pédagogiques et non pas la seule amélioration de la communication des «détenteurs du savoir», optent pour des formules mixtes. En effet, les institutions offrant des parcours entièrement à distance sans rabattre sur la qualité sont rares. Il me fait plaisir d'en citer une qui a aussi été mon université formatrice : la Téluq (Télé-université du Québec).

La mixité, l'hybridation, le blended learning autorisent aujourd'hui des assemblages de modalités traduisant l'imagination innovatrice des concepteurs. Là encore, certains outils conceptuels sont utiles. La typologie Competice, malgré son ancienneté relative, reste toujours inspirante. Envisager le scénario pédagogique en fonction de la part et de la position des activités à distance peut facilement être transposé pour les mondes virtuels : quelle part, quelles positions des activités pédagogiques en situation immersive au sein du scénario général d'une formation ? 

Récemment, Sébastien Fraysse, bien connu pour ses entretiens avec les éditeurs de plateformes e-learning, a proposé une nouvelle matrice pour penser l'hybridation. reproduite ci-dessous. Nul doute, qu'elle pourra être également utile aux concepteurs envisageant d'investir les mondes virtuels (lire aussi les billets qui accompagnent la construction de cette matrice).



Conclusion provisoire
Innover pédagogiquement, y compris dans les mondes virtuels ne peut être le résultat de l'oubli des méthodes d'ingénierie pédagogique au profit d'une débauche de moyens technologiques. Dans ce billet, j'ai plus particulièrement attiré l'attention sur quelques méthodes d'ingénierie pédagogique et tutorale et sur des modèles permettant de penser l'hybridation des modalités. Chaque concepteur, en fonction de ses préférences et de son expérience choisit ses propres référents conceptuels. C'est très bien ainsi tant l'innovation réside bien plus dans les subjectivités mises à jour et donc explicitées que dans le suivisme entretenu par le buzz.

lundi 12 septembre 2011

L’avatuteur en vol, posture à concevoir. Par Jacques Rodet

Dans les mondes virtuels, il existe une dimension qu’il est bon de ne pas négliger, c’est la verticale ! Si la possibilité de voler qui est offerte aux avatars est certainement une des plus ludiques, elle est aussi à envisager dans le cadre de nouveaux positionnements spaciaux de l’avatuteur pour ses interventions.

Ainsi que l’a montré Jean-Paul Moiraud (1), il peut être très avantageux pour un avatuteur de ne pas encombrer l’espace dans lequel des apprenants font évoluer leurs avatars. Ceci est plus particulièrement vrai lors d’expériences d’immersion complète (cas d'usage n°2 évoqué dans ce billet) dans lesquelles les apprenants doivent adopter des comportements pouvant être rapprochés d’un référentiel de bonnes pratiques (gestes prescrits comme par exemple la pose d’une perfusion). Lorsque les avatars des apprenants doivent entrer en interaction les uns avec les autres, y compris en interaction gestuelle, le fait que l’avatuteur n’encombre pas l’espace est encore plus primordial.

Il est donc nécessaire, lorsque l’on conçoit les interventions tutorales (cf. Grille de description d'une intervention tutorale)  de prendre en compte cette dimension verticale. L’avatuteur, planant au-dessus de la scène, grâce à la vue subjective (2), peut avoir une bonne vision des gestes et comportements des avatars des apprenants. Placé à une altitude raisonnable, il pourra, en cas de besoin, atterrir rapidement pour montrer aux apprenants le geste adéquat. Il est à noter que même planant, il peut s’adresser aux apprenants par le chat.

Ayant eu plusieurs fois l’occasion de regretter que dans un dispositif e-learning classique, l’apprenant ne soit pas toujours tenu au courant de l’examen que le tuteur effectue sur son évolution dans son parcours d’apprentissage, il me semble qu’il ne faut pas être moins exigeant dans les mondes virtuels. En conséquence de quoi, l’avatuteur planant ne devrait pas le faire à l’insu des apprenants. Au contraire, ceux-ci devraient être informés qu’ils sont observés par l’avatuteur en altitude. Dans les cas où la scène est envisagée comme épreuve d’évaluation, il me parait également opportun que la présence et la position de l’avatuteur soient connues des apprenants.

Ces éléments : présence de l’avatuteur, position dans l’espace, objectifs d’observation, résultats attendus de l’observation, interactions envisagées avec les avatars des apprenants, sont à ajouter dans les fiches descriptives des interventions tutorales lorsqu’elles sont effectuées au sein d'une formation se déroulant dans un monde virtuel. Il est envisageable d’imaginer que d’autres éléments, tels le vêtement utilisé par l’avatuteur, le répertoire de ses gestes puissent aussi faire l’objet de mentions lors de la conception des interventions tutorales.

(1) Vidéo « Le tuteur et l’espace » http://www.youtube.com/watch?v=EqGK6rkx4LE
(2) Album Facebook « vue subjective » http://goo.gl/1sil3

mercredi 7 septembre 2011

Communication non verbale dans les mondes virtuels : le résultat d’une intentionnalité au risque d’une signification typée ? Par Jacques Rodet

Le savoir-faire du tuteur à distance est d’ordre technologique et pédagogique mais il doit aussi beaucoup à son savoir-être. C’est parce qu’il comprend tout l’intérêt de se mettre en situation d’écoute de l’apprenant, en manifestant son empathie, en utilisant le questionnement ouvert, la reformulation et la réverbération que le tuteur à distance est en mesure de réaliser des interventions appropriées envers les apprenants. Dans des domaines professionnels où le geste est essentiel, le savoir-faire du tuteur est aussi assimilable à sa capacité à montrer, à se mettre en situation.

Dans les mondes virtuels, les gestes des avatars sont toujours le résultat d’une intention humaine, celle de celui qui pilote l’avatar et conjointement celle du programmeur qui a créé le script d’animation. Si pour la démonstration de postures professionnelles l’intentionnalité du geste est une nécessité, cela est tout différent lorsque la médiation entre le tuteur et l’apprenant porte sur les aspects socio-affectif, motivationnel, métacognitif ou même cognitif dès lors que le contenu de la formation est davantage conceptuel.

Dans le monde réel, le propos du tuteur est ponctué par sa communication non verbale. Il est à noter, que cette communication non verbale échappe très largement à son contrôle. Si d’aucuns s’intéressent à certaines techniques pour rendre plus congruentes leur parole et leur gestuelle, la plupart s’autorise la spontanéité de leurs expressions corporelles.


En formation à distance ne recourant pas à la vidéo, la communication non verbale est absente, si l’on veut bien admettre que le pouvoir d’évocation des smileys reste limité. Cette absence impose aux interlocuteur
s une attention plus soutenue à l’énonciation permettant le dévoilement d’énoncés non explicites.
l'avatar Rojajaro applaudit... s'applaudit ?...
Dans un monde virtuel, le tuteur peut imprimer des gestes à son avatar. Toutefois, outre le fait que les gestes sont en nombre limité, qu’il est nécessaire de procéder à de longues séances d’entrainement pour maitriser des enchainements de gestes ou des gestes plus subtils, que les expressions faciales sont souvent difficiles à percevoir et mériteraient de nouveaux progrès techniques, que la coordination du geste et de la parole est aussi liée à la qualité des débits informatiques, que la coordination du geste et du chat est opérationnellement quasi impossible, il existe un autre obstacle d’importance à la reproduction de la communication non verbale : elle n’existe que parce que le pilote de l’avatar la décide. Cette prise de décision la rend définitivement autre que dans le monde réel. Le geste qui survient dans le monde réel, et qui ainsi donne à voir du non visible, du non énoncé, ce geste est envisagé, soupesé, calculé dans le monde virtuel. S’il permet de souligner, d’illustrer, de renforcer le propos, sa signification semble plus typée, réduite, moins polysémique que celle des gestes qui nous échappent continuellement dans le monde réel.

Une fonction de visualisation de son avatar évoluant dans un environnement virtuel marque aussi une grande différence avec le monde réel sur le plan de la gestuelle. Il est en effet possible de voir de face son avatar, un peu comme si, dans le monde réel, tout en agissant, l’on se regardait en permanence dans un miroir. L’aspect narcissique de ceci serait intéressant à étudier mais je me limiterais à observer qu’il devient bien difficile sinon de s’oublier, du moins de mettre en retrait son avatar. La vision et la conscience des chaussures de son propre avatar, par exemple, est bien plus prégnante que celle qu’un formateur aura de ses souliers durant une animation de formation. Ainsi, un objet, l’avatar et les fonctions de mouvements qui lui sont associées, avatar qui est par nature une mise à distance de soi, ne nous amène-t-il pas à devenir plus soucieux de son apparence et de ses gestes ?

L’avatarisation condamne-t-elle à une communication non verbale instrumentalisée, intentionnalisée, à la signification typée ? Si c’était le cas, ce serait un inconvénient non négligeable pour certaines interventions tutorales dans des dispositifs de formation dédiés à des savoirs non procéduraux ou manuels (ceux-ci se prêtant bien à l’immersion dans la simulation). Il serait peut-être alors préférable, comme cela se fait dans certaines classes virtuelles où les participants arrêtent leur webcam pour se concentrer sur le son, de s’abstenir de communiquer par gestes et de préférer un avatar immobile, tel ceux que les habitués des mondes virtuels repèrent comme étant des novices.