jeudi 5 janvier 2012

Bricolage, ruse et subterfuge. Par Jean-Paul Moiraud



La pédagogie instrumentée par le numérique essaime dans la sphère de l'apprentissage et de l'enseignement. L'abondance des communications institutionnelles, universitaires et des usages de terrain est un indicateur de ce foisonnement. essaimer ne signifie pas pour autant stabiliser ou généraliser.  Nous sommes entrés, depuis quelques années, dans une phase de diffusion des équipements dans les établissements via les efforts conjugués du ministère et des collectivités locales. L'enquête PROFETIC (prof et TICE) de septembre 2011 (1) montre que 79 % des enseignants disposent facilement d'un ordinateur dans l'établissement, 66 % d'un vidéo projecteur et 59 % d'un ordinateur pour les élèves et tous les enseignants ont un ordinateur à domicile. Les dix années qui se sont écoulées depuis le passage du nouveau siècle donnent la mesure des progrès qui ont été accomplis.

Pourtant ... malgré ce déploiement de la "Raison technicienne", des enseignants continuent (2), persistent à travailler et  à construire hors des cadres numériques prescrits. Ils bâtissent des dispositifs à l'aide d'outils numériques hétéroclites, ils détournent, bricolent, subvertissent des solutions non initialement conçues pour l'éducatif. J'ai parlé de subversion, de ruses mais leurs objectifs sont pourtant classiques, ils souhaitent développer des dispositifs d'enseignement pour aider à l'apprentissage de leurs élèves. Quoi de plus noble que de vouloir améliorer, d'enrichir les enseignements et donner du lustre aux apprentissages. Alors pourquoi souhaitent-ils emprunter des chemins de traverse lorsqu'il est possible d'utiliser des solutions sur les routes officielles normées et balisées  ?

Le travail et la réflexion dans les mondes virtuels participent à cette entreprise non conventionnelle de création et de construction des savoirs. L'utilisation des mondes persistants est une démarche intellectuelle qui chemine, à l'heure actuelle, en marge des voies fléchées des grands flux de la formation. On pourrait en dire autant des solutions de micro-blogging instrumentées à des fins pédagogiques, des ressources provenant du détournement des fonctionnalités initiales des téléphones GSM et des smartphones pour enregistrer, filmer, aller chercher de l'information, de l'utilisation des blogs.

L'imagination est au pouvoir, le subterfuge, la ruse, le bricolage sont régulièrement convoqués au rendez-vous de l'enseignement et de l'apprentissage instrumentés par le numérique. Est ce une façon de lutter contre le sentiment d'être un simple consommateur de la chose du savoir, un répétiteur technicien ? Michel Gondry en  donne une belle illustration par son film "Be kind, rewind". Que dit ce film ? :

Après avoir démagnétisé les cassettes vidéos d'un ciné club dont ils avaient la garde, les deux protagonistes (Jack Black et Mos Def)  reconstituent les grands standards du cinéma avec des moyens de bric et de broc. Ces films "suédés" (bricolés) rencontrent, contre toute attente, un grand succès auprès du public. Isabelle Régnier journaliste au monde définit ainsi ce film « […] prône la bricole contre la standardisation aseptisée, la transmission contre la déculturation mondialisée. Célébration de l’enfance et de ses puissances créatrices, il est, de tous les films de son auteur, celui qui s’abandonne le plus librement à la croyance dans le cinéma ». Isabelle Régnier, Le Monde, 5 mars 2008 in Michel Gondry, l'usine des films amateurs - Rétrospective, carte blanche. Centre Pompidou (3)

J'ai, à de nombreuses reprises, souligné l'antagonisme entre la démarche institutionnelle (développement des ENT et leurs différentes briques administratives et pédagogiques) et certaines démarches d'enseignants que la recherche qualifie de "personal learning environment" (PLE), certains auteurs avancent le qualificatif d'edupunk (4) pour désigner les enseignants adeptes du "do it yourself " (DIY). Le point de convergence de tous ces qualificatifs est la capacité d' inventer et de  revisiter le quotidien éducatif. Pour atteindre leurs objectifs, les enseignants bricolent.

Ils bricolent, ce qui ne signifie pas qu'ils font n'importe quoi et qu'ils ne font que cela. Le bricolage n'est pas antinomique avec la planification, la préparation, la référence à des théories éducatives. C'est ce que rappelle Philippe Perrenoud dans son article intitulé "La pratique pédagogique entre l'improvisation réglée et le bricolage" (5).

J'entends par bricolage, dans ce billet, la capacité des enseignants à s'emparer des matériaux numériques pour les adapter à leurs besoins professionnels. Je n'oppose pas, dans cette réflexion, les objets proposés sur le net et les objets numériques institutionnels. Je parle bien de la capacité des enseignants à chercher, à améliorer, à chercher à créer des ressources grâce à des instruments proches du terrain. Je me demande si cette attitude ne correspond pas à un besoin profond, une envie de ne pas se sentir déposséder de la liberté de création et d'enseignement.(X). En tant que praticien de terrain je n'ai pas les moyens (malheureusement) de vérifier mes propos, je me contente de lancer des pistes de réflexion à la lumière des lectures qui soutiennent mon travail.  Nombreux sont les exemples tirés de la littérature qui évoquent, la question du bricolage. En préalable à ce billet je voudrais m'appuyer sur des  passages qui me paraissent significatifs.

Tout d'abord appuyons nous sur les écrits de Claude Levis Strauss dans la "pensée sauvage" (6)

«Une forme d’activité subsiste parmi nous qui, sur le plan technique, permet assez bien de concevoir ce que, sur le plan de la spéculation, peut être une science que nous préférons appeler première plutôt que primitive : c’est celle communément désignée par le terme de bricolage. Dans son sens ancien, le verbe « bricoler » s’applique au jeu de balle et de billard, à la chasse et à l’équitation, mais toujours pour évoquer un mouvement incident: celui de la balle qui rebondit, du chien qui divague, du cheval qui s’écarte de la ligne droite pour éviter un obstacle. Et, de nos jours, le bricoleur reste celui qui œuvre de ses mains, en utilisant des moyens détournés par comparaison avec ceux de l’homme de l’art. /…/
Le bricoleur est apte à exécuter un grand nombre de tâches diversifiées ; mais, à la différence de l’ingénieur, il ne subordonne pas chacune d’elles à l’obtention de matières premières et d’outils conçus et procurés à la mesure de son projet: son univers instrumental est clos, et la règle de son jeu est de toujours s’arranger avec les « moyens du bord », c’est-à-dire un ensemble à chaque instant fini d’outils et de matériaux,

hétéroclites au surplus, parce que la composition de l’ensemble n’est pas en rapport avec le projet du moment, ni d’ailleurs avec aucun projet particulier, mais est le résultat contingent de toutes les occasions qui se sont présentées de renouveler ou d’enrichir le stock, ou de l’entretenir avec les résidus de constructions et de destructions antérieures. L’ensemble des moyens du bricoleur n’est donc pas définissable par un projet (ce qui  supposerait d’ailleurs, comme chez l’ingénieur, l’existence d’autant d’ensembles instrumentaux que de genres de projets, au moins en théorie) ; il se définit seulement par son instrumentalité, autrement dit, et pour employer le langage même du bricoleur, parce que les éléments sont recueillis ou conservés en vertu du principe que « ça peut toujours servir ». De tels éléments sont donc à demi particularisés : suffisamment pour que le bricoleur n’ait pas besoin de l’équipement et du savoir de tous les corps d’état, mais pas assez pour que chaque élément soit astreint à un emploi précis et déterminé. Chaque élément représente un ensemble de relations, à la fois concrètes et virtuelles ; ce sont des opérateurs, mais utilisables en vue d’opérations quelconques au sein d’un type.
/…/
l’exemple du bricoleur. Regardons-le à l’œuvre : excité par son projet, sa première démarche pratique est pourtant rétrospective il doit se retourner vers un ensemble déjà constitué, formé d’outils et de matériaux ; en faire, ou en refaire, l’inventaire enfin et surtout, engager avec lui une sorte de dialogue, pour répertorier, avant de choisir entre elles, les réponses possibles que l’ensemble peut offrir au problème qu’il lui pose. Tous ces objets hétéroclites qui constituent son trésor, il les interroge pour comprendre ce que chacun d’eux pourrait « signifier », contribuant ainsi à définir un ensemble à réaliser, mais qui ne différera finalement de l’ensemble instrumental que par la disposition interne des parties. Ce cube de chêne peut être calé pour remédier à l’insuffisance d’une planche de sapin, ou bien socle, ce qui permettrait de mettre en valeur le grain et le poli du vieux bois. Dans un cas il sera étendu, dans l’autre matière. Mais ces possibilités demeurent toujours limitées par l’histoire particulière de chaque pièce, et par ce qui subsiste en elle de prédéterminé, dû à l’usage originel pour lequel elle a été conçue, ou par les adaptations qu’elle a subies en vue d’autres emplois. /…/ les éléments que collectionne et utilise le bricoleur sont « précontraints ». D’autre part, la décision dépend de la possibilité de permuter un autre élément dans la fonction vacante, si bien que chaque choix entraînera une réorganisation complète de la structure, qui ne sera jamais telle que celle vaguement rêvée, ni que telle autre, qui aurait pu lui être préférée.
/…/ Sans jamais remplir son projet, le bricoleur y met toujours quelque chose de soi.» Claude Levi Strauss (1962)


Michel de Certeau (7) et Philippe Perrenoud (8)  reprennent cette définition dans leurs ouvrages et publications  lorsqu'il s'agit d'introduire la notion de bricolage dans leurs réflexions.

La littérature est riche d'exemples qui décrivent le bricolage comme un élément de construction des relations sociales. Robert Lihnart, Fabienne Hanique et Michel De Certeau illustrent ce propos. Je me propose de reprendre des passages significatifs :
Robert Lihnart décrit le cas de l'ouvrier Demarty dans son ouvrage intitulé "l'établi" (9)

Demarty est un ouvrier chargé de "décabosser" des ailes de voitures, il travaille sur une chaine standardisé. Pour s'acquitter de sa tâche, il utilise un établi singulier ...

«On dirait un petit artisan, et il paraît presque déplacé "oublié comme un vestige d'une autre époque dans l'enchaînement répété des mouvements de l'atelier. Il a de nombreux outils
à sa disposition — instruments de ponçage, de martelage, de polissage, fers à souder, étain, chalumeaux, mêlés dans une sorte de bric-à-brac familier où il se retrouve sans hésiter — et chaque retouche met en oeuvre une opération particulière, presque jamais identique à la précédente. Ce sont les hasards de l'emboutissage, des transports, des cahots et des collisions, des pièces tombées par terre ou frappée par quelque fenwick qui déterminent ce qu'il aura à redresser, à boucher, à souder, à polir, à rectifier. Chaque fois, il prend la portière défectueuse, la regarde attentivement, passe un doigt sur les irrégularités (il ausculte aussi concentré qu'un chirurgien avant l'opération), la repose, prend sa décision, dispose les outils qui lui seront nécessaires, et se met au travail. Il travaille penché, à dix ou vingt centimètres du métal, précis au coup de lime ou de marteau près, ne se reculant que pour éviter la gerbe d'étincelles de la soudure ou la volée de copeaux métalliques du ponçage. Un artisan, presque un artiste. Le plus étonnant, c’est son établi. Un engin indéfinissable, fait de morceaux de ferraille et de tiges, de supports hétéroclites, d’étaux improvisés pour caler les pièces, avec des trous partout et une allure d’instabilité inquiétante. Ce n’est qu’une  apparence. Jamais l’établi ne l’a trahi ni ne s’est effondré. Et, quand on le regarde travailler pendant un temps assez long, on comprend que toutes les apparentes  imperfections de l’établi ont leur utilité : par cette fente, il peut glisser un instrument qui servira à caler une partie cachée ; par ce trou, il passera la tige d’une soudure difficile
» – L’établi de Robert Lihnart (1978)

Fabienne Hanique (5) a étudié le changement (la modernisation) à la poste, la période ou l'usager devient un client. Dans un passage du chapitre intitulé "Guichetier, tout le monde peut le faire, ou des usages de l'univers bureaucratique" (pp 67 et suite) Une postière remplaçante traite le dossier de M Grignon, un client habituel .... Monsieur Grignon vient à la poste :

" /.../ Ce matin vers 11 heures, elle reconnaît, dans la file d'attente, monsieur Grignon...et commente, possiblement pour signifier son degré d'insertion : "il est vraiment tous les jours... La connaissance de son numéro de compte devrait faire partie de la formation pour Pal ..." Quelques minutes plus tard, c'est à son guichet que monseiur Grignon se présente ..."Ah non, monsieur Grignon, vous êtes venu deux jours trop tôt ... c'est pas aujourd'hui"


Par ces mots, tacitement adressés à chacun d'entre nous - Pas uniquement à Monsieur Grignon, mais aussi aux collègues, à l'observateur, voire aux autres usagers-, Annie signifie qu'elle est déjà suffisamment accoutumée au bureau pour reconnaître les clients et qualifier la pertinence de leur demande avant même de solliciter l'ordinateur ...


Mais monsieur Grignon reste pétrifié : il tendait son livret et voilà que cette guichetière lui ... refuse.


Comment décrire ce qui se passe alors ? Jackie et Micheline se tournent brusquement vers Annie ... Que se sont-ils dit ? Rien. Annie a croisé le regard de Micheline, une seconde tout au plus ...


Annie s'est alors reprise : elle s'excuse auprès de M Grignon : "c'est rien excusez moi monsieur Grignon ... Allons, donnez moi votre livret on va regarder..." /.../

"Derrière le guichet, la tension presque palpable qui avait surgi est retombée aussi vite qu'elle s'était installée ... Les affaires reprennent leur cours, chacun son client, comme si rien ne s'était passé ... A une différence près : Annie est maintenant bien intégrée. Cela ne fait plus le moindre doute." /.../

«La conduite qu’avait initialement adopté Annie n’était en rien critiquable au regard des procédures et des règles de l’efficacité managériale qui commandent notamment de diminuer le temps d’attente des clients et d’améliorer le temps de traitement  des opérations. L’échange de regards avec les deux «anciens» l’a pourtant amenée à renoncer à cette posture pour se ranger aux «règles» locales de cette microsociété.


Les enjeux sous-jacents sont importants pour l’ensemble des protagonistes / Pour Micheline et Jackie, il convient de vérifier qu’en la présence d’Annie, on peut travailler, c’est-à-dire non seulement mobiliser la réglementation et les procédures, mais aussi cette jurisprudence spécifique, véritables présupposés sociaux de l’activité personnelle, qui constitue le «genre de la maison». Libre à Annie de s’y plier ou pas … mais ne pas s’y résoudre peut être coûteux. Cela reviendrait à l’isoler et, du même coup, à la priver de la possibilité de mobiliser le collectif pour faire face à des situations que la réglementation prescrite seule ne peut plus suffire à affronter. Elle serait alors conduite, pour faire face à des situations codifiées, à produire des «inventions» ou des «bricolages» que l’absence de validation du collectif renverrait au rang de transgressions.» Fabienne Hanique (10)

Ces exemples introductifs, nous donne à penser l'objet théorique qu'est le bricolage. Le métier d'enseignant  est un exercice qui se construit  dans un équilibre subtil  entre le penser et le faire, le bricolage s’insère entre ces deux poutres maitresses de l'activité professionnelle. Il participe au même principe qui fait que le droit se construit avec la jurisprudence.Il ne se conçoit pas comme une posture anecdotique et péjorative. Le bricolage à sa place. Il reste à déterminer si on le cantonne dans le domaine du majeur ou du mineur ?

Parmi ces différents exemples, la lecture de l'ouvrage de Michel De Certeau  "l'invention du quotidien, arts de faire" occupe une place particulière. Sa lecture m'a permi, peut être, de mieux ordonner une réflexion dont je n'arrivais pas à cerner les contours jusqu'à présent. Il interroge, par ricochet, nos pratiques enseignantes. Loin de moi l'idée d’interpréter de quelque façon que ce soit la pensée de M De Certeau, je n'ai pas un savoir suffisant. Je me contenterai d'essayer de poser quelques jalons réflexifs à la lumière de cette lecture.

La question qui se pose est la suivante : Pour quelles raisons les enseignants continuent-ils à bricoler, pourquoi utilisent-ils des ruses, développent-ils des subterfuges pour organiser leurs enseignements alors que les structures institutionnelles mettent à disposition des outils adaptés d'un point de vue technologique ? S'agit-il d'une forme de subversion qui n'ose pas avouer son nom ? Peut - on dire à la façon de Michel de Certeau qu'en matière d'enseignement instrumenté les bricoleurs "inventent leur quotidien", qu'il y a un "art de faire" la pédagogie. Est ce une forme de résistance à la norme ? "Une source d'optimisme mais qui a un petit côté dérisoire dans les effets" me souffle un ami philosophe.

Michel De Certeau compare les créateurs de sens à des propriétaires terriens qui imposent des lois, des règles à ceux qui passent sur leurs possessions. Dans le chapitre XII intitulé "Lire : un braconnage" est évoquée la capacité de certains à résister à la norme en opérant de actions de braconnage sur des territoires normés (l'écrit). Michel De Certeau se réfère à l'art subtil des poètes du moyen age pour illustrer cette intention de ruse pour subvertir la norme.

"Autre modèle : l'art subtil dont la théorie a été faite par des poètes et des romanciers médiévaux, ils insinuent la novation dans le texte même et dans les termes d'une tradition. Des procédures raffinées infiltrent mille différences dans l'écriture autorisée qui leur sert de cadre, mais sans que leur jeu obéisse à la contrainte de sa loi. Ces ruses poétiques, non liées à la création d'un lieu propre (écrit), se sont maintenues à travers les siècles jusque dans la lecture contemporaine, également agile à pratiquer les détournements et métaphorisation que, parfois, signalise à peine un "bof" " Michel De Certeau


En opérant un parallélisme (je prends cette responsabilité), l'attitude des edupunks ne s'inscrit-elle pas dans ce registre ? La volonté de conserver un sentiment d'autonomie (11) au sein d'une structure normée ? Une peur d'être contrôlé par un système panoptique ? (12)


Je prends le risque de citer un passage plus radical de Michel De Certeau, pour essayer de mieux comprendre ce que pourrait être l'intention d'un bricoleur  :


" L'implantation massive d'enseignements normalisés a rendu impossibles ou invisibles les relations intersubjectives de l'apprentissage traditionnel ; les techniciens "informateurs" ont donc été mués, par la systématisation des entreprises en fonctionnaires claquemurés dans une spécialité et de plus en plus ignorants des utilisateurs; la logique productiviste elle-même, en isolant les producteurs, les a amenés à supposer qu'il n'y a pas de productivité chez les consommateurs; un aveuglement réciproque, généré par ce système, a fini par faire croire aux une et aux autres que l'initiative ne se loge que dans les laboratoires techniques." Michel De Certeau.


Est ce de cette crainte que se nourrissent les enseignants qui bricolent ? La peur de l'introduction d'une logique productiviste symbolisée par les outils globalisant, uniformes qui les rendrait simples consommateurs ? Y voient-ils une protection contre un sentiment de perte d'autonomie et peut être de façon plus ou moins consciente d'échapper au sentiment (à la peur) du contrôle ? (12)


Je ne fais que lancer des pistes de réflexion mais j'ai la conviction que l'acte de bricolage n'est pas neutre à l'heure de l'enseignement instrumenté. L'amorce de lecture de Foucault (12) me fait comprendre d'ailleurs la charge sémantique de ce terme.


Il me semble qu'il y a là, en germe, un débat transdisciplinaire à engager, en attendant je suis dans ma salle de classe (réelle et virtuelle) et ... Je bricole mon quotidien.



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(1) PROFETIC http://eduscol.education.fr/cid58720/profetic-2011.html
(2) Je ne dispose malheureusement pas de statistiques sur le nombre de bricoleurs
(3) "Be kind, rewind" Michel Gondry (2008) http://www.centrepompidou.fr/documentation/Michel_gondry.pdf
(4) L'Edupunk est une méthode d'enseignement et d'apprentissage. Cette méthode se définit comme une approche de l'enseignement qui évite les outils traditionnels tels que powerpoint et le tableau noir, et vise plutôt à amener l'attitude rebelle et le comportement Do It Yourself des groupes punks des années 70, au sein même de la classe (Wikipédia)
(5) "La pratique pédagogique entre l'improvisation réglée et le bricolage" Philippe Perrenoud (1983) http://www.unige.ch/fapse/SSE/teachers/perrenoud/php_main/php_1983/1983_01.html
(6) "La pensée sauvage", Claude Levis Strauss (1962)
(7) "L'invention du quotidien, arts de faire", Michel De Certeau, folio essais, édition (1990)
(8) "La pratique pédagogique entre l'improvisation réglée et le bricolage", Philippe Perrenoud, 1983
(9) "L'établi", Robert Lihnart, (1978)
(10) "Le sens du travail, chronique de la modernisation au guichet", éres, Fabienne Hanique (2004)
(11) Article L912-1-1 code de l'éducation - La liberté pédagogique de l'enseignant s'exerce dans le respect des programmes et des instructions du ministre chargé de l'éducation nationale et dans le cadre du projet d'école ou d'établissement avec le conseil et sous le contrôle des membres des corps d'inspection.
Le conseil pédagogique prévu à l'article L. 421-5 ne peut porter atteinte à cette liberté.
(12) "Surveiller et punir", Michel Foucault, (1975)

3 commentaires:

  1. Merci pour cet article rempli de pistes à explorer.
    Pour donner une autre perspective sur cette question du bricolage des environnements numériques, je vous conseille la lecture de cet article d'Anthony Masure sur le "formatage" induit par les grands outils de création propriétaires : http://strabic.fr/Adobe-Le-creatif-au-pouvoir.html

    Qu'il s'agisse de pédagogie ou de "design", c'est peut-être, en amont de l'utilisateur ou plutôt de concert avec lui, la conception même des outils numériques qui mérite d'être revisitée.

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  2. Suite à la publication de ce billet, je reçois un message de @hugobiwan qui m'indique que @cyremia à aussi traité cette question dan son mémoire de master intitulé "les hackers ingénieux, acteurs et espaces des pratiques numériques créatives" Page 97 on y parle du bricolage et du braconnage.

    C'est ici http://tambouille.net/?dedans (rubrique bonus)

    Jean-Paul Moiraud

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  3. J'ai toujours eu l'impression que ce bricolage avait un fond très pragmatique :

    1. Constat répété de l'insuffisance des outils proposés par l'institution
    2. Absence de confiance dans l'institution (réactivité, lourdeur, désintérêt, etc.)
    3. Intérêt personnel à organiser les ressources autour de soi-même.
    4. Coût prohibitif des solutions professionnelles pour un individu

    Admettons que (1) soit totalement infirmé. Les outils proposés sont bons. Il reste (2) : la confiance dans l'institution (prise de façon générale) n'est pas là.

    Il y a toujours un risque que, connaissant l'institution, elle fasse défaut à l'enseignant au moment où il en aura besoin. Pourquoi alors investir dans les outils qu'elle propose ?

    (3) : les enseignants changent d'établissement pendant leur carrière. S'investir dans les outils institutionnels, c'est peut être perdre son temps. Il n'est pas assuré qu'ils retrouvent une qualité d'outils équivalente dans leur prochain poste.

    Créer sa propre tambouille en marge de l'institution est très attractif ! Quelque soit le poste, les outils dans lesquels on s'est investi restent utilisables. Mieux, on a plus de contrôle que sur ceux proposés par l'institution.

    Enfin (4). Les solutions métier proposées sont pensées pour être vendues à une institution, pas à un enseignant. Elles ont un coût important, pas forcément supportable par un individu.

    Conclusion ? L'enseignant qui veut tirer parti du numérique va bricoler.

    C'est plus simple et plus rapide. C'est moins risqué que de faire confiance à l'institution. Cela répond aussi mieux à la problématique du changement régulier d'établissement / de contexte de travail numérique. C'est aussi plus valorisant que d'être simple utilisateur d'un outils proposé par l'institution.

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