Jean-Paul Moiraud, dans son
billet intitulé « Bricolage, ruse et subterfuge » http://tutvirt.blogspot.com/2011/12/bricolage-ruse-et-subterfuge.html s’intéresse aux pratiques des enseignants
qui leur permettent d’« inventer et de revisiter le quotidien éducatif. »
Il souligne que loin d’être contradictoires, ces pratiques peuvent s’articuler
avec les politiques institutionnelles. Elles en sont des avatars qui se jouent
de certaines contraintes en procédant par déviations. L’innovation et la
création procèdent fréquemment par transgression de ce qui est établi. Depuis
la fin du XIXe siècle, la création artistique, et ce fut particulièrement vrai
pour la peinture est le résultat de la transgression
des règles établies. La transgression est un acte volontaire et conscient.
C’est pourquoi, il est nécessaire, pour qu’elle produise du sens, de connaître,
voire d’avoir pratiqué, les règles mises à bas. Hors de cette condition, il y a
fort à parier que le résultat obtenu, loin d’être créatif, ne soit que de peu
d’intérêt. Ainsi, d’un individu qui sans rien connaître à l’enseignement ou à la
formation voudrait initier de nouvelles pratiques d’apprentissage aurait bien
peu de chance d’être pertinent. Il est possible de remettre beaucoup de choses
en question dans la pratique enseignante, encore faut-il en connaître les
fondements, dans une certaine mesure l’histoire, les pratiques et les diverses
instanciations. Il est donc possible d’affirmer qu’un enseignant qui souhaite
innover, devrait posséder un certain bagage, une expérience pratique, une bonne
perception du cadre institutionnel dans lequel il évolue. A partir de ces
connaissances, il lui est alors loisible de déterminer quelles sont les règles
qu’il souhaite transgresser pour atteindre tel ou tel objectif.
Le bricolage éducatif est-il transgressif et créatif ?
Si l’on considère que la pratique
éducative est toujours une réponse particulière d’un enseignant se saisissant
d’éléments constitués (programmes, manuels, ressources, etc.) pour permettre à
des apprenants de construire leurs connaissances et/ou de développer des
compétences, il ne fait aucun doute que l’enseignant a été, est et sera
toujours un bricoleur. Un bricoleur professionnel, c’est-à-dire un artisan.
Comme lui, il maîtrise la chaine de production de A à Z : il analyse,
conçoit, réalise, diffuse, évalue. En ce sens, le bricolage est plutôt l’habitude
et l’industrialisation qui suppose la division des tâches, l’exception.
Bricoler n’est donc pas une transgression dans le sens où à force d’être
transgressif, la transgression s’est
imposée comme norme. Pour filer la comparaison avec la peinture, dirait-on d’un
individu qui peindrait des tableaux selon les canons du début du XIXe siècle
qu’il est un artiste, un créatif ? Etre peintre à notre époque, c’est
répondre à l’impératif de la novation, de l’originalité, d’être transgressif.
Si cela n’est valide que de manière moindre dans le monde éducatif et de la
formation, il semble bien difficile
d’être reconnu comme un pédagogue de qualité sans que sa démarche se révèle un
tant soit peu transgressive. Le caractère subversif de la transgression n’en
est pas éliminé pour autant puisque sa démarche s’effectue dans un cadre
institutionnel aux règles établies et jalousement gardées ou plus exactement
frileusement conservées.
L’innovation n’est pas que le résultat du bricolage
Si l’innovation a besoin de
pionniers, elle peut aussi se révéler être le résultat de démarches planifiées.
La mise à distance de la formation en est un bon exemple. Les premières
expériences de formation à distance qui remontent au XIXe siècle avec
l’apparition du timbre-poste, ont introduit un élément fondamental qui s’est
révélé profondément subversif : l’enseignant et l’enseigné n’ont plus
besoin d’être ensemble dans un lieu et un temps donné. Cette remise en cause de
l’unité spatio-temporelle de la formation a progressivement été pensée au
regard du processus d’industrialisation. Permettre à un plus grand nombre et de
manière plus aisée d’accéder à la formation est certainement une des raisons
premières de la formation à distance qu’elle a ensuite formulée comme promesse.
Le cas de l’Open University de Grande Bretagne est éloquent à cet égard. Dès
lors, le recours aux techniques de la division des tâches permettant la
massification et la standardisation s’est révélé incontournable. L’enseignant
voit sa fonction éclatée en une multitude de spécialités qui lui est bien
difficile d’investir toutes : analyste, concepteur, pédagogue, médiatiseur,
technicien, facilitateur, administrateur, etc. Le bricolage n’est pas
impossible dans ce nouveau schéma, et en fait souvent pratiqué au sein de
chacune de ces fonctions, mais il n’y a plus d’artisan qui fait tout de A à Z.
La liberté des acteurs est conditionnée et leurs actions coordonnées.
L’artisanat laisse la place à une démarche projet caractérisée par l’existence
d’une équipe, d’un chef de projet, d’une planification rigoureuse, de règles
établies et respectées, d’une division des tâches dont les résultats sont
assemblés sans qu’un acteur qui a produit telle ou telle partie ne puisse avoir
une pleine conscience et vision de l’ensemble. Il est pourtant remarquable que
l’innovation soit au cœur de la formation à distance, que celle-ci soit
l’occasion de réinterroger, lors des phases de conception et de
scénarisation, les pratiques de
formation, qu’elle ait recours aux moyens technologiques les plus récents,
qu’elle transforme la relation pédagogique.
Bricolage des enseignants, quelques hypothèses sur leurs motivations
Il est certain que de nombreux
enseignants bricolent afin de créer des situations d’apprentissage qui soient
plus adaptées aux caractéristiques de leurs apprenants. Rendre l’apprentissage
plus concret, plus authentique, plus accessible, plus ludique, plus
intéressant, plus motivant, plus étonnant, plus signifiant, plus transférable,
plus complet, plus qualitatif, voilà quelques objectifs qui sont très souvent
ceux des enseignants innovants. Il s’agit, en quelque sorte, des raisons nobles
qui les poussent à bricoler. Il en existe certainement d’autres, qui sont moins
fréquemment mis en exergue et qui correspondent aux intérêts personnels que les
enseignants peuvent retirer de leurs pratiques innovantes. Le bricolage
n’est-il pas, par exemple, une stratégie contre l’ennui que procure la
répétition d’année en année des mêmes cours ? L’enseignant bricoleur ne
cherche-t-il pas ainsi à renouveler son plaisir ? A assouvir sa propre
curiosité ? A continuer à apprendre ? Une autre série de raisons
semble pousser les bricoleurs renommés « geeks » dans le monde
numérique : s’offrir une indépendance, un périmètre privatif hors de portée
de l’institution. L’exemple du délaissement des ENT par certains enseignants
« geeks » est significatif. L’offre numérique de l’institution étant,
par nature, toujours en retard sur leurs pratiques, ils la négligent souvent
lorsqu’ils ne la combattent pas. En procédant de la sorte, ils peuvent retirer
la satisfaction narcissique d’être d’éternels pionniers. Une des dérives qu’il
est alors possible de constater est qu’en étant toujours en avance, très en avance,
des pratiques institutionnelles d’une part, et de celles de leurs collègues
d’autre part, ils n’arrivent plus à nouer les fils d’un dialogue constructif
avec eux mais seulement échanger avec ceux qui leur ressemblent.
Bricolage des apprenants, quelques pratiques
Si le bricolage se révèle bénéfique
pour les enseignants, il est légitime de se demander s’il ne le serait pas
également pour les apprenants. Ainsi, est-ce qu’une pratique apprenante ne
gagnerait pas à être transgressive ? La transgression de l’apprenant
correspond à la liberté qu’il se donne de ne pas souscrire aux injonctions et
autres demandes de l’enseignant ou de l’institution. Cela signifie-t-il que l’apprenant
n’apprenne plus, certainement pas. Est-ce moins exigeant pour l’apprenant que
de se conformer aux attentes identifiées, encore moins. En effet, selon le
principe que nous avons évoqué plus haut - la transgression n’est créative que
lorsque l’individu qui la réalise et l’assume a conscience des règles qu’il bat
en brèche – il apparait certain que pratiquer un apprentissage par
transgression demande une compréhension fine des objectifs de la formation, une
capacité à exercer son autonomie, à gérer son apprentissage, à conscientiser
ses états affectifs par rapport aux tâches à réaliser, autant d’habiletés que
tous les apprenants ne possèdent pas spontanément. Il y aurait donc à réaliser un
apprentissage de la transgression de l’apprentissage dont le cursus reste à
établir mais qui comprendrait certainement des éléments sur l’apprendre à
apprendre, d’une part et sur la notion même de transgression, d’autre part.
Dès lors que l’enseignant a une
pratique transgressive, est-ce que l’apprenant peut la transgresser ? Je
pense que oui dans la mesure où les pratiques innovantes des enseignants ne se
révèlent pas toujours beaucoup moins prescriptives pour les apprenants que les pratiques
traditionnelles. La formation à distance et les autres modalités qui font un
grand usage des technologies sont effectivement assez prescriptives. Travailler
sur une plateforme e-learning impose un certain apprentissage technologique aux
apprenants. Dans le cas des formations dans les mondes virtuels qui nous
occupent davantage sur ce blog, il faut remarquer que le ticket d’entrée (créer
et maitriser les déplacements et la gestuelle de son avatar) est d’un coût
cognitif et temporel relativement élevé et fortement prescriptif.
La définition de l’apprenant
bricoleur pourrait être donc la suivante : apprenant qui nourrit une
certaine indépendance par rapport aux modalités proposées ou imposées par l’enseignant
et par rapport à l’enseignant lui-même, en capacité de comprendre les finalités
de son apprentissage et de dimensionner les solutions qui lui conviennent le
mieux et qui sont adaptées à l’atteinte des objectifs de la formation. Cette
définition est somme toute assez proche de celle de l’autonomie de l’apprenant
à distance que j’avais formulée en 2003 : « Un apprenant autonome, est donc, une personne qui prend la main sur son
activité d'apprentissage en intervenant dans sa gestion. Il doit mettre en
place des stratégies métacognitives impliquant sa connaissance : de soi, des
tâches et des stratégies ; mais aussi la maîtrise d'outils de planification, de
régulation et d'évaluation. » http://jacques.rodet.free.fr/xchron2.htm#oct
Comment soutenir le bricolage des apprenants ?
Faut-il laisser les apprenants
bricoler seuls ou n’est-il pas nécessaire de penser les modalités qui autoriseraient
leur bricolage et qui pourrait aussi les aider à le pratiquer ? Laisser l’apprenant
à lui-même, dans une démarche qui se voudrait délibérément non directive,
reviendrait à terme à abdiquer son rôle d’enseignant. C’est donc plutôt la voie
du soutien et de la relation d’aide, ainsi que je définis le tutorat à
distance, qui serait à emprunter. Il ne me revient pas ici, d’en aborder tous
les aspects pratiques, ceci est largement fait dans les billets de ce blog et
dans le Blog de t@d (http://blogdetad.blogspot.com).
Un principe mérite tout de même d’être rappelé : les fonctions tutorales ne
peuvent être investies par un enseignant qu’à partir du moment où il modifie sa
perception de son rôle. De transmetteur, il doit devenir accompagnateur,
facilitateur, médiateur. Ceci se révèle ne pas être la moindre des
transgressions à oser dans le monde éducatif et de la formation aujourd’hui.
J'ajouterais : dans l'utilisation d'une plateforme virtuelle, où la dynamique de groupe retrouve sa place pleine et entière, les composantes de l'environnement peuvent appartenir à tous en exergue du contenu à transmettre et du projet pédagogique, et celles-ci sollicitent toutes sortes de compétences et de bricolages contributifs de cet environnement et de son bon fonctionnement grâce à l'outillage illimité proposé, plaçant alors chacun à égalité et en capacité de créér, de partager, d'apprendre à l'autre y compris au prof ou au tuteur.. Bref, un pas de plus vers l'intégration dans une groupe par la reconnaissance et vers la coproduction des savoirs...
RépondreSupprimerBonjour,
RépondreSupprimerC'est toujours drôle de constater la différence de point de vue sur un même thème.
Je pense aussi que je "bricole", mais ce bricolage est plus une adaptation de ce que j'ai à disposition pour le rendre compatible avec les élèves que j'ai.
Dans ce cas, j'aimerais pensé que c'est une sorte de tutorat pro-actif où j'anticipe les problèmes que les élèves vont avoir car le sujet n'est pas adapté. Le passage du bricolage au prototype n'aillant pratiquement jamais lieux car l'évolution des apprenants ne s'arrêtent pas. Pour une phase d'industrialisation, il faudra arriver a crée un modèle sufissament flexible pour qu'il s'adapte automatiquement.