mercredi 7 septembre 2011

Communication non verbale dans les mondes virtuels : le résultat d’une intentionnalité au risque d’une signification typée ? Par Jacques Rodet

Le savoir-faire du tuteur à distance est d’ordre technologique et pédagogique mais il doit aussi beaucoup à son savoir-être. C’est parce qu’il comprend tout l’intérêt de se mettre en situation d’écoute de l’apprenant, en manifestant son empathie, en utilisant le questionnement ouvert, la reformulation et la réverbération que le tuteur à distance est en mesure de réaliser des interventions appropriées envers les apprenants. Dans des domaines professionnels où le geste est essentiel, le savoir-faire du tuteur est aussi assimilable à sa capacité à montrer, à se mettre en situation.

Dans les mondes virtuels, les gestes des avatars sont toujours le résultat d’une intention humaine, celle de celui qui pilote l’avatar et conjointement celle du programmeur qui a créé le script d’animation. Si pour la démonstration de postures professionnelles l’intentionnalité du geste est une nécessité, cela est tout différent lorsque la médiation entre le tuteur et l’apprenant porte sur les aspects socio-affectif, motivationnel, métacognitif ou même cognitif dès lors que le contenu de la formation est davantage conceptuel.

Dans le monde réel, le propos du tuteur est ponctué par sa communication non verbale. Il est à noter, que cette communication non verbale échappe très largement à son contrôle. Si d’aucuns s’intéressent à certaines techniques pour rendre plus congruentes leur parole et leur gestuelle, la plupart s’autorise la spontanéité de leurs expressions corporelles.


En formation à distance ne recourant pas à la vidéo, la communication non verbale est absente, si l’on veut bien admettre que le pouvoir d’évocation des smileys reste limité. Cette absence impose aux interlocuteur
s une attention plus soutenue à l’énonciation permettant le dévoilement d’énoncés non explicites.
l'avatar Rojajaro applaudit... s'applaudit ?...
Dans un monde virtuel, le tuteur peut imprimer des gestes à son avatar. Toutefois, outre le fait que les gestes sont en nombre limité, qu’il est nécessaire de procéder à de longues séances d’entrainement pour maitriser des enchainements de gestes ou des gestes plus subtils, que les expressions faciales sont souvent difficiles à percevoir et mériteraient de nouveaux progrès techniques, que la coordination du geste et de la parole est aussi liée à la qualité des débits informatiques, que la coordination du geste et du chat est opérationnellement quasi impossible, il existe un autre obstacle d’importance à la reproduction de la communication non verbale : elle n’existe que parce que le pilote de l’avatar la décide. Cette prise de décision la rend définitivement autre que dans le monde réel. Le geste qui survient dans le monde réel, et qui ainsi donne à voir du non visible, du non énoncé, ce geste est envisagé, soupesé, calculé dans le monde virtuel. S’il permet de souligner, d’illustrer, de renforcer le propos, sa signification semble plus typée, réduite, moins polysémique que celle des gestes qui nous échappent continuellement dans le monde réel.

Une fonction de visualisation de son avatar évoluant dans un environnement virtuel marque aussi une grande différence avec le monde réel sur le plan de la gestuelle. Il est en effet possible de voir de face son avatar, un peu comme si, dans le monde réel, tout en agissant, l’on se regardait en permanence dans un miroir. L’aspect narcissique de ceci serait intéressant à étudier mais je me limiterais à observer qu’il devient bien difficile sinon de s’oublier, du moins de mettre en retrait son avatar. La vision et la conscience des chaussures de son propre avatar, par exemple, est bien plus prégnante que celle qu’un formateur aura de ses souliers durant une animation de formation. Ainsi, un objet, l’avatar et les fonctions de mouvements qui lui sont associées, avatar qui est par nature une mise à distance de soi, ne nous amène-t-il pas à devenir plus soucieux de son apparence et de ses gestes ?

L’avatarisation condamne-t-elle à une communication non verbale instrumentalisée, intentionnalisée, à la signification typée ? Si c’était le cas, ce serait un inconvénient non négligeable pour certaines interventions tutorales dans des dispositifs de formation dédiés à des savoirs non procéduraux ou manuels (ceux-ci se prêtant bien à l’immersion dans la simulation). Il serait peut-être alors préférable, comme cela se fait dans certaines classes virtuelles où les participants arrêtent leur webcam pour se concentrer sur le son, de s’abstenir de communiquer par gestes et de préférer un avatar immobile, tel ceux que les habitués des mondes virtuels repèrent comme étant des novices.


3 commentaires:

  1. Bonjour, et merci pour ce site qui permet enfin d'approfondir et construire par l'échange un vaste sujet encore bien vierge.

    Sur ce qui précède, j'aimerais apporter mes propres expérience et réflexion après avoir expérimenté, non pas une adaptation de formation à distance dans un environnement 3D mais la transposition pure et simple de formations en présentiel.

    Sur cette question de la communication non verbale, je me risquerais à dire qu'il ne faut pas tenter outre mesure de guetter celle-ci en toute conformité aux codes connus des situations présentielles physiques, à moins de faire le choix d'une frustration récurrente : quels que soient les progrès technologiques à venir, je ne pense pas que ce lièvre est celui à courir et je m'en explique.

    L'expérience immersive me semble offrir non pas les mêmes mais de nouveaux codes pour la découverte et la compréhension de l'autre.

    Dans le monde physique en effet, notre cerveau en ce qu'il ne peut s'empêcher de procéder par classement se hâte bien vite de s'appuyer sur les codes livrés par nos 5 sens pour forger nos jugements-sentiments. Ainsi la vue de l'autre nous dira sur son âge, milieu social, couleur de peau, l'odorat sur son état ..d'ébriété ou d'hygiène... et j'en passe. Tout ceci nous ne l'aurons pas dans un espace numérique, même avec les meilleures avancées du monde s'agissant du réalisme des avatars.

    Par contre, et je reprendrais ici comme je le fais souvent, la comparaison avec les aveugles, qui, en l'absence de ces repères dont les autres ont le luxe, développent davantage d'autres compétences sensorielles, celles-ci leur livrant les informations avec une justesse surprenante.

    Pour faire court, il me semble qu'il nous faut davantage être attentifs à cette expérience inédite qu'offre l'immersif 3D : la manière dont se construisent nos représentations sont et seront différentes. Mais ce qui est indéniables c'est que des représentations de forment bel et bien, et que dixit bien des utilisateurs qui ont pu par la suite rencontrer physiquement leurs interlocuteurs, l'écart entre la représentation et la réalité est curieusement très faible.

    De plus, comme il ne s'agit pas de remplacer intégralement le présentiel réel qui viendra ponctuer un cursus de formation, ces nouveaux codes viennent plutôt enrichir ceux de la vie courante, nous ouvrir les yeux et même le coeur sur bien des aspects de l'autre (ne passe t-on pas sans cesse à côté des trésors de l'autre car trop limités par les codes classiques?.

    Il s'agit en fait d'un complément de langage pour la communication, et que nous parvenons à décoder mais seulement après avoir pris nous-même conscience que nous l'utilisons et qu'il obeit à des lois.

    Diverses études livrent déjà sans en explorer plus avant les raisons mais en les suggérant, des résultats portant sur les bénéfices des expériences immersives : sur la timidité, la production collaborative, la révélation de compétences etc. C'est sur ce registre qu'il me semble important d'évaluer les processus à l'oeuvre et qui se passent fort bien des animations surajoutées aux avatars. J'ai plutôt l'intuition d'un 7ème sens -pour ne pas dire 6ème qui est encore d'une autre nature s'il existe- tapi chez chacun et dont le désordre apparent de l'expérience d'un environnement 3D viendrait lâcher la bride, la nature ayant horreur de certains vides... Avis aux psychosociologues et chercheurs en sciences humaines de tout poil de venir scruter cela avec nous?

    En tout état de cause, le non verbal tout comme le verbal en situation de formation dans les univers 3D forcent la déconstruction de ce qui fonde la communication bien réelle, à la base de l'acquisition des connaissances et des savoir-faire.
    A suivre
    Cheops Forlife aka Jenny Bihouise

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  2. Merci Jenny pour ce commentaire et retour d'expérience.
    Au plaisir d'éprouver ce 7e sens dans SL avec Cheops Forlife
    Jacques Rodet alias Rojajaro

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  3. Pas vraiment dans SL... mais dans Francogrid où l'ile ROCHEGUDE offre une vitrine d'Internet 3 Solutions et des outils d'accompagnement et services que notre activité propose, et qui s'enrichissent quotidiennement, je serais ravie de vous y accueillir ;-))
    Cheops

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