Les mondes immersifs sont des constructions que nous envisageons majoritairement sous l'angle pédagogique. Nous essayons de déterminer quels sont les scénarios, les modèles tutoraux, nous essayons de modéliser des interactions dans des environnements artificiels, nous ne sommes en aucun cas dans l'imaginaire. Quel crédit apporterait-on à nos propos s'il apparaissait que nous proposions des schémas utopiques, totalement imaginaires ?
Nous faisons des propositions qui interrogent les modalités actuelles et à venir du e.learning. Notre objectif est de proposer des solutions efficaces destinées à former des apprenants à distance. Nous souhaitons pouvoir les accompagner, les empêcher de décrocher face au sentiment de solitude numérique ?
Pourtant ... Travailler dans les mondes virtuels, n'exclue pas la mobilisation de symboles liés au monde de l'utopie et de l'imaginaire au service d'un projet rationnel. De façon inconsciente, je m'aperçois que j'avais repris ces déclinaisons dans un billet pour parler du travail de la FDV (1) (faculté de droit virtuelle de Lyon 3).
L'existence d'un lien "anachronique" entre des démarches construites pour des dispositifs de formation inscrits dans le réel et les symboles de l'utopie mérite que l'on s'attarde sur cet apparent paradoxe. Le construit-le déconstruit, l'ordre et le désordre se côtoient. Georges H.Taylor en introduction du livre de Paul Ricoeur (2) intitulé "l'idéologie et l'utopie" énonce le propos suivant :
Étymologiquement le mot utopie vient du Latin moderne Utopia, c'est le nom d'un pays imaginaire, créé par Thomas Morus
en 1516. En grec il signifie le "lieu qui n'existe pas" ou, topos - Dictionnaire étymologique Larousse.
Thomas More décrit ainsi Utopia (3) dans son ouvrage (extraits)
Thomas More décrit ainsi Utopia (3) dans son ouvrage (extraits)
"Ile située à environ quinze milles de la cote de l'amérique latine, originellement liée à la terre par un isthme. L'île tient son nom d'Utopus, l'un de ses premiers conquérants. La plus grande largeur de cette terre est de cent quarante kilomètres, et ses extrémités s'incurvent jusqu'à presque former un cercle, ce qui lui donne la forme d'un croissant. Entre les pointes du croissant, un détroit de dix huit kilomètres de large laisse entrer la mer qui devient un vaste lac protégé des tempêtes par les terres environnantes /.../
Il y a cinquante quatre grandes villes à Utopie, toutes bâties sur le même modèle. Entre chaque ville, il n'y a pas mois de quarante kilomètres, pas plus d'un jour de marche. La capitale Amaurote, est située au centre de l'île. Entourée de hautes murailles crénelées de tours, la ville est protégée sur trois côtés par une douve asséchée remplie d'inextricables buissons d'épines, et bordée sur le quatrième par le fleuve Anydre ..." Sir Thomas More, Utopia, (1516)
La lecture de l'ouvrage d'Alberto Manguel et de Gianni Guadalupi intitulé "Dictionnaire des lieux imaginaires" (le livre de poche) nous éclaire sur la façon d'envisager ces mondes. Ils ont rassemblé dans leur livre un ensemble de passages significatifs.J'ai relevé quelques passages où le cercle et l'île sont présents :
- "île située quelque part dans l'océan indien. On ne connaît pas sa situation exacte" Ambre gris - Les mille et une nuits , XV siècle env." Anonyme, les mille et une nuits, XV siècle environ
- "île dans l'atlantique, parfaitement circulaire, de mille cent trente lieues de circonférence. Elle est le centre d'un vaste archipel habité par les philosophes, race qui a décidé de vivre en appliquant exactement le système encyclopédique de Francis Bacon". Charles Nodier, Hurlubleu, grand manifafa d'hurlubière, Paris (1822)
- "Vallée circulaire et boisée du pays de Galles, où l'on ne trouve que quelques maisons noires habitées par une race de géants". Anonyme, Mabinogion (XVIII siècle)
- "Petite île circulaire, au milieu d'un fleuve, près d'une cascade près des États Unis" Edgar Allan Poe, The island of the Fay.
- "Cette vieille cité, capitale de la Kravonia depuis un millier d'années a connu de nombreuses dynasties. Elle est construite sur un île du fleuve Krath qui, à cet endroit, coule droit vers l'est. Juste en amont de la ville, le fleuve se divise en deux bras, nommés fleuves Nord et Sud qui enserrent la ville et lui donne la configuration d'une poire". Anthony Hope, Sophy of Kravonia, Londres (1906)
- "La capitale, Tamoe, orientée au sud, s'ouvre sur la mer. Son port, dans l'unique baie de l'île, est défendu par des fortifications construites à l'européenne ; une superbe avenue, bordée par quatre rangs de palmiers, le relie à la ville qui s'inscrit dans un cercle parfait de trois kilomètres de circonférence". Donatien, Alphonse François, marquis de Sade, Aline et et Valcour, Paris (1795)
L'analogie entre les mondes virtuels et les descriptions littéraires des mondes imaginaires se retrouve aussi sous un aspect graphique.
Cartographie des mondes imaginaires |
Cartographie des mondes virtuels |
La navigation en mondes virtuels peut s'avérer difficile, lorsque l'on ne connait pas la topologie des lieux. Une fonctionnalité de cartographie existe. Les représentations qui en sont faites sont troublantes, elles ressemblent aux cartographies des mondes imaginaires, des cercles, des structures géométriques, des espaces cloisonnés, le tout entouré par la mer.
Le plan d'Arc et Senans |
On peut pousser la comparaison avec l'architecture. Les plans de la cité d'Arc et Senans (Doubs) dessinés par Nicolas Ledoux sont comparables aux structures des mondes immersifs, c'est-à-dire (semi) circulaire et clos.
La comparaison avec les architectures des mondes virtuels démontre le parallélisme de conception.
L'hypothèse qui sous-tend nos travaux, s'appuie sur l'idée que les mondes virtuels peuvent, sous certaines conditions, aider aux apprentissages, à l'enseignement et au tutorat. Nous estimons que l'interaction sociale immersive peut briser la distance installée par les réseaux. En décortiquant les codes qui construisent ces mondes, il apparaît que notre travail n'est pas aussi neutre qu'il n'y paraît.
Le monde de l'utopie est insulaire, circulaire et clos, il est protégé du reste du monde. Là n'est pas le moindre du paradoxe. Nous observons, nous travaillons dans des mondes virtuels qui sont construits à partir de codes qui ont pour nom : isolement, clôture, muraille pour développer une stratégie d'ouverture, de coopération, de collaboration et d'intelligence collective.
Et si le monde virtuel, au final, puisait ces sources, non pas dans l'utopie mais dans la pantopie ?
Le monde de l'utopie est insulaire, circulaire et clos, il est protégé du reste du monde. Là n'est pas le moindre du paradoxe. Nous observons, nous travaillons dans des mondes virtuels qui sont construits à partir de codes qui ont pour nom : isolement, clôture, muraille pour développer une stratégie d'ouverture, de coopération, de collaboration et d'intelligence collective.
Et si le monde virtuel, au final, puisait ces sources, non pas dans l'utopie mais dans la pantopie ?
Qu'est ce que la pantopie (5) ? « Manière de penser et vivre le monde en
sa pleine diversité accordant à chaque lieu, à chaque être, l’importance
et la dignité auxquelles il a droit, tout en le replaçant dans un vaste
réseau de correspondances spatio-temporelles, de reconnaissance
mutuelle et de responsabilité commune où il prend tout son sens. » E.C. (6)
Cette définition, même si elle renvoie à des constructions du 19ème siècle où l'on retrouve, entre autres, la pensée de Fourier, n'est pas sans interroger les constructions numériques actuelles, notamment celle du réseau.
Ce billet est un travail exploratoire, il nécessitera des lectures plus approfondies pour amplifier le propos.
Cette définition, même si elle renvoie à des constructions du 19ème siècle où l'on retrouve, entre autres, la pensée de Fourier, n'est pas sans interroger les constructions numériques actuelles, notamment celle du réseau.
Ce billet est un travail exploratoire, il nécessitera des lectures plus approfondies pour amplifier le propos.
Ce billet, n'a pas la coloration habituelle, il n'évoque pas le tutorat, il ne considère pas les mondes virtuels comme résultante d'une instrumentalisation de fonctionnalités technologiques mais ... il me semblait très important de s'interroger sur le sens que produit un objet fait de lignes de codes. A la réflexion sur l'utilisation pédagogique j'ai voulu tenter de questionner le sens ; celui que nous lui donnons, celui qu'il recèle. Il me semblait important de dépasser les champs de l'apprentissage, de l'enseignement et du tutorat pour effleurer ce que pompeusement je nommerai ici la sémiologie. C'est un exercice auquel on se livre peu dans notre quotidien professionnel (celui du secondaire en tout cas), l'immédiateté et la culture du résultat étant des repères actuels.
Je ne sais si ma démonstration est probante, il me manque assurément un socle de savoirs, de connaissances et de compétences pour approfondir cette réflexion. Je n'ai fait, par manque de temps de de compétences, que poser quelques briques d'analyse. J'espère cependant avoir amorcé un début de réflexion sur le lien entre le sens apparent et le sens caché des outils que nous manipulons, sur la place qu'ils occupent dans nos constructions.
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(1) L'instrumentum et le negotium - http://moiraudjp.wordpress.com/2011/05/14/monde-virtuel-linstrumentum-et-le-negocium/
(2) l'idéologie et l'utopie, Paul Ricoeur, Seuil, la couleur des idées (1986)
(3) Utopia, Thomas More, Librio
(4) Dictionnaire des lieux imaginaires, Alberto Manguel et Gianni Guadalupi, Actes Sud, (1981)
(5) Pantopie.org - http://pantopie.org/indefinition/utopie-pantopie-2/
(6) Utopies du cercle, pantopies du réseau. Formes et topologies sociales de la communication Eric Letonturier, Persée, numéro 30 (1996) - http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/quad_0987-1381_1996_num_30_1_1951
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